Peaches Goes Bananas : le corps comme outil de militantisme et comme œuvre d’art. Rencontre avec Marie Losier
Avec ce documentaire, présenté dans la section Événements spéciaux des Giornate degli Autori à la Mostra de Venise 2024, la cinéaste et plasticienne française Marie Losier livre un portrait de l’artiste canadienne, véritable star féministe et queer dont le rayonnement va au-delà de la scène alternative berlinoise.
Image courtoisie Adok Films
Figure insolite de la scène artistique contemporaine, nourrie à la culture underground de sa ville d’adoption, New-York, Marie Losier s’illustre avec autant de plaisir que d’aisance dans des expressions artistiques différentes, allant du cinéma aux arts plastiques, en passant par le dessin et la peinture. D’ailleurs, son parcours est tout aussi touche-à-tout : en effet, elle a d’abord fait des études littéraires à Nanterre avant de partir pour un échange Erasmus dans la Grande Pomme où elle a découvert qu’elle pouvait étudiait l’art et non se cantonner aux lettres. Son séjour new-yorkais s’est prolongé pendant vingt-ans, fait de rencontres fondatrices qui l’ont amenée à filmer, en autodidacte.
Ainsi, au fil de ses créations, la cinéaste a élaboré un langage filmique très personnel où les images en mouvement occupent une place primordiale, mises en valeur par le 16 mm qui s’affirme comme son format de prédilection. Marie Losier a signé de nombreux films (courts, moyens ou longs métrages), en grande majorité des portraits d’artistes ou de personnalités hors normes. Développant un regard aiguisé, perçant et décalé qui sait s’affranchir des carcans et des normes, l’artiste française se nourrit de la scène underground dans laquelle elle puise une intarissable source d’inspiration.
Pendant dix-sept ans, elle a suivi la chanteuse Peaches, icône queer et féministe à la créativité explosive qui a fait voler en éclats tous les tabous. De la scène à sa vie intime, ce portrait montre à quel point Peaches a transformé chacun des pans de sa vie, comme la relation intense qu’elle entretenait avec sa sœur Suri, aujourd’hui disparue, pour en faire une œuvre d’art fascinante.
Munie de son outil de prédilection dont elle ne sépare plus depuis vingt-cinq ans, une caméra Bolex 16 mm, la réalisatrice compose de manière organique, avec une intensité palpable et l’urgence de l’éphémère, un portrait à la fois intime et public, de cette artiste inclassable qui flirte avec les conventions et s’en amuse, revendiquant la liberté des genres et des sexualités. Peaches est de tous les plans et, à l’aube de la soixantaine, clame haut et fort qu’il faut accepter le temps qui passe et continuer à vivre avec une attitude punk, C’est d’ailleurs une forme punk que Marie Losier donne à son documentaire qui se fond parfaitement avec son sujet.
Peaches s’exprime sans filtre et sa parole emplie d’humour, mais surtout d’autodérision, saillante et iconoclaste, voire vulgaire, nourrit son militantisme mordant et son féminisme toujours aussi vaillant. Excessive, effrontée, voire culottée, ironique mais iconique, Peaches, née Merrill Nisker, enflamme les scènes du monde entier depuis plus de vingt ans avec sa musique et ses performances endiablées dont un préservatif géant qui survole les salles de concert pour le plus grand bonheur du public. À ce symbole phallique de taille s’ajoutent des chapeaux en forme de vagin ou des costumes en forme d’utérus et une artiste qui assume son corps exhibé en totale liberté au fil des ans, un corps qui est sa marque de fabrique artistique accompagnant ses performances live et une discographie basée sur des thèmes liés à l’identité de genre. L’auteure-compositeure-interprète canadienne est désormais la protagoniste d’un documentaire qui aura mis dix-sept ans à voir le jour.
De passage en Suisse romande pour l’avant-première de Peaches Goes Bananas à Genève et à Lausanne, Marie Losier s’est confiée à notre micro sur sa création, sur sa rencontre avec Peaches, sur sa caméra Bolex, sur la scène underground, entre autres. Rencontre:
Firouz E. Pillet
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