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Pessac 2021 : Les 54 Premières Années, manuel ironique de l’occupation israélienne d’Avi Mograbi

Présenté lors de la Berlinale 2021 dans la section Forum puis au Festival Vision du Réel 2021, à Nyon, en compétition officielle, le dernier film d’Avi Mograbi s’appuie sur les témoignages de soldats réservistes pour dénoncer de manière mordante l’occupation israélienne. Ce documentaire concourt pour le Prix du film d’histoire 2021 dans catégorie Documentaires inédits.

Les 54 Premières Années d’Avi Mograbi
Image courtoisie Festival international du Film d’Histoire de Pessac

« L’Occupation » est un terme abstrait, un concept sujet à une variété d’interprétations, usités avec plus ou moins d’objectivité ou de partialité. Quelles sont les implications de l’occupation ? Qu’est-ce que cela signifie pour les personnes sous occupation ? Quelles mesures faut-il prendre pour que l’occupation existe. Quels moyens faut-il mettre en œuvre pour qu’elle soit effective ? Énoncer que l’occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza par Israël dure depuis cinquante-quatre ans reste une élocution abstraite tant que l’on ne part pas à la rencontre de ceux qui l’ont vécue empiriquement.

Pour pouvoir envisager que ce concept devienne une réalité, il est essentiel et nécessaire de se pencher sur les actions et les opérations, scrutées dans le détail, et qui incarnent l’occupation et les conséquences qu’elle produit sur la vie des personnes sous occupation, autrement dit « les occupés » mais aussi relatés par ceux qui ont dû exécuter et imposer les mesures d’occupation, dans la majeure partie des situations des soldats réservistes. C’est en recueillant témoignages d’anciens militaires qui ont servi dans les territoires pendant cinquante-quatre ans d’occupation qu’Avi Mograbi élabore son manuel tout en explicitant, face caméra, les termes en usage dans ce contexte.

Avi Mograbi rappelle qu’en Israël, homme et femme doivent faire l’armée, trois ans pour les premiers, deux ans pour les secondes et sont réservistes jusqu’à l’âge de quarante ans. L’occupation pourrait être comparée à un serpent à plusieurs têtes, une effroyable Méduse dont chacune des têtes représente « un brave petit soldat» qui a servi dans l’armée son pays, « affirmant leur domination géographique et leur pérennité », dans les territoires occupés, qui a rempli sa mission, qui a exécuté les ordres donnés, tout en étant persuadé qu’il contribuait à renforcer la sécurité de l’état d’Israël. Un soldat raconte qu’ils sont partis en pleine nuit en exercice à Hébron et que dans l’obscurité seul le marché palestinien, en flammes, éclairait car des colons y avaient mis le feu. Zvi Barel, gouverneur militaire et adjoint de la ville d’Hébron scande : « Quand le Shabak, le service de sécurité, n’y arrive pas, alors on applique une punition collective : on n’attribue plus de permis de travail et on gèle les autorisations. Il y a une autre action récurrente, « le rassemblement des hommes » : on arrive aux environs de minuit. On fait sortir tous les hommes et on les garde dehors jusqu’à cinq ou six heures du matin, parfois plus. Ils ne sont pas menottés mais subissent un interrogatoire et en peuvent même pas s’écarter pour pisser. L’essentiel est de punir le village.»

Au fil des entretiens, Avi Mograbi fait la somme des actes commis en toute légitimité par ces exécutants du gouvernement israélien, par ces braves soldats, obéissants et dociles mais surtout convaincus que leurs actions sont nécessaires, même des actes qui semblent anodins par rapport aux violences physiques comme collectionner les clefs, à la défense de leur patrie, de leur famille et de leurs droits. Soulignant le travail de sape organisé de manière méthodologique, Avi Mograbi démontre comment l’occupation israélienne a détruit le tissu social en imposant aux populations locales d’obéir aux lois édictées par le commandant militaire en place et qui devient aussi  le legislateur de la région.

Quasiment tous les citoyens israéliens juifs servent dans l’armée et les contrevenants ou déserteurs sont destitués de leur nationalité israélienne. Ainsi, tous les citoyens israéliens participent directement ou indirectement à l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. De générations en générations, ils s’exécutent sous le drapeau israélien, apprenant les méthodes, se les transmettent les uns aux autres, de père en fils, dans une filiation qui se fait d’office sans se questionner sur sa légitimité et ni sa légitimation.

Dans la masse de toutes ces têtes, seul un petit groupe apparaît dans le film et relate dans le détail les actes quotidiens mis en place. Aucune de ces actions n’est essentielle pour que l’occupation se perpétue ou prenne fin mais, ensemble, elles constituent l’essence même de l’occupation.

Avi Mograbi décrit son travail en ces termes :

Ce film tente de donner du sens au terme « occupation » à travers les témoignages de ces « braves gars » qui en sont les acteurs. Ce sont des témoignages, pas des opinions. Sans jugement ni prise de position, les personnages racontent simplement ce qu’ils ont fait ou ce dont ils ont été les témoins – autant d’actions qu’ils ont mises en œuvre ou auxquelles ils ont participé, de sorte que l’occupation ait pu exister et puisse continuer d’exister dans le temps. Il y a une multitude de façons différentes de raconter l’histoire de l’occupation. On peut décrire des processus historiques, ou offrir une plate-forme qui permette aux victimes de l’occupation de témoigner, ou bien encore relater les actions des opposants à l’occupation en Israël et dans le monde. J’ai choisi de montrer ceux qui ont mis en œuvre l’occupation, ceux qui ont fait le sale boulot. Sans eux, cette énorme machine n’aurait pas pu exister. Ce sont eux qui ont fait fonctionner la machine, l’ont réparée, en ont changé les pièces, ont fourni la matière première et emballé le produit de la plus grande usine créée par l’état d’Israël au cours de ses septante-et.un années d’existence.

Certains soldats laissent transparaître une once d’humanité quand ils racontent leurs missions : « Un vieil homme, ‘âgé, frêle, est venu à dos d’âne réclamer sa maison et sa terre sur laquelle on se trouvait. J’ai demandé à mes supérieurs qui m’ont dit : « C’est hors de question ! Chasse-le ! » J’ai chassé ce vieillard qui tenait à peine sur son âne et je l’ai vu partir au-delà de la montagne. » En filigranes, dans les silences, les temps de réflexions les phrases en suspens, on perçoit que certaines s’interrogent sur le bien-fondé de leurs actions … À moins que le terme le plus adéquat soit exactions.

Avi Mograbi s’interroge et nous interroge:

Si le bien que vous convoitez est le pays lui-même, vous devez analyser ce que vous avez gagné pendant l’occupation, combien de colons vous avez implantés, combien de propriétaires terriens vous avez expropriés.

Des questions qui dérangent en plus haut lieu.
Il apparaît alors évident que ce documentaire qui dérange n’ait pas été projeté dans un cadre israélien et n’ait été projeté dans aucun des festivals de cinéma israéliens, d’autant plus que le film d’Avi Mograbi s’appuie sur des témoignages de soldats qu’il a recueillis. Le film d’Avi Mograbi a reçu le prix « Ma génération » au Festival croate de Zagreb.

Critique du film et interview du réalisateur lors de la Berlinale 2021 par Malik Berkati.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

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