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Pessac 2024 : Federica Montseny, l’indomptable, de Jean-Michel Rodrigo, raconte l’extraordinaire destin de cette femme libre, engagée et avant-gardiste, passée aux oubliettes de l’histoire. Entretien

Né à Paris en 1956, de parents et de grands-parents espagnols installés à Oran, Jean-Michel Rodrigo étudie l’histoire et la géographie à la Sorbonne, goûte aux joies de l’enseignement, y renonce très vite. Il part sillonner l’Amérique latine comme photographe, journaliste, puis documentariste.

Il s’intéresse très tôt pour l’altérité et se passionne pour les cultures amérindiennes et métisses des Andes, s’installe à Lima. Il réalise le portrait d’Olinda, jeune leader populaire et féministe, sorti le 15 novembre 2024 aux éditions au Pont 9, puis signe Cocafé (avec l’ancien Président bolivien Evo Morales), enchaîne avec Les Fils du maïs au Guatemala, Le Business des fleurs (2003), en Équateur. Il plonge dans l’univers de la vallée sacrée de l’Inca, réalise Viva Patata, accompagne au fil des années l’utopie incroyable de Villa El Salvador, les bâtisseurs du désert (2008), une ville ouvrière, paysanne, égalitaire, surgie de nulle part et qui compte aujourd’hui 500 000 habitants.

Il se rend aussi en Afrique, rencontre des paysans décidés à fonder leur propre banque et filme Les Greniers de l’argent. Dans la foulée, il tourne La Guerre des cotons (2005), qui oppose une poignée de fermiers américains à vingt millions de paysans africains sous le regard intéressé du géant chinois.

Pendant plusieurs années, il collabore avec Côté jardins (France 3) et signe une centaine de films courts tournés autour de la Méditerranée, au Canada, en Guyane. Il réalise également une collection documentaire sur l’engagement humanitaire face aux enjeux de l’eau, de l’alimentation, du retour à la paix en zone de conflit. En France, il effectue plusieurs plongées dans l’univers des pêcheurs, chasseurs, cueilleurs, des marais d’Aquitaine que France 5 surnomme Les Apaches de la Gironde (2001). En fiction, sur France 2, cela donne Les Braconniers de Belledombre.

Jean-Michel Rodrigo garde toujours à l’esprit sa passion première, l’Histoire et constate que « la plus grande arme de notre époque est l’amnésie ». Il signe Ici Londres, les français parlent aux français, avec l’ancien directeur de l’AFP, Jean Marin ; Démineurs (2004), avec Raymond Aubrac, le résistant ; Le Baladeur (2008) avec l’alpiniste Guido Magnone ; L’Unef et les frondes étudiantes – De 1940 à nos jours (2011) avec Jacques Sauvageot et Benjamin Stora. Récemment, il a réalisé Voix catalanes (2014) qui chantent l’autonomie, voire l’indépendance, mais rejettent la tentation identitaire, tellement menaçante ailleurs.

En lien avec les tragédies de l’exil qui bouleversent l’Europe depuis des années, il a réalisé, avec Marina Paugam, Exil(s) sur scène (2015), un hommage à une poignée d’artistes chiliens qui ont tenu tête à la dictature de Pinochet et choisi de développer leur talent dans la banlieue de Paris. Puis, le hasard des rencontres a fait qu’il s’est passionné pour la lointaine Nouvelle-Calédonie et réalisé avec Marina Paugam : André Dang, un combat calédonien (2018), et tout récemment, Roch Pidjot, le souffle de la dignité.

Avec Federica Montseny, l’indomptable (2016), il fait le portrait d’une écrivaine anarchiste espagnole, gommée de l’histoire officielle alors que, ministre de la République, elle a fait voter en 1936 la première loi européenne en faveur de l’avortement, soit quarante ans avant la loi Veil en France. Pendant son mandat, elle tente d’instaurer un système de santé pour tous, ose des projets de lois sur la contraception, le contrôle des naissances, les droits des mères célibataires, des prostituées…

Federica Montseny, l’indomptable de Jean-Michel Rodrigo
Image courtoisie Festival international du film d’histoire de Pessac

Federica Montseny était une héroïne potentielle extraordinaire : son épopée révolutionnaire, aurait pu donner lieu à bien des films de fiction, à plus de romans encore. Dans les archives retrouvées, Federica Montseny prend une dimension inattendue. Elle devient un symbole d’autant plus puissant qu’elle ne s’affiche jamais vraiment. Elle est jeune et pas très jolie, ses yeux brillent derrière ses lunettes hublots, elle est plutôt forte physiquement et cela donne à sa silhouette une grande assurance. Elle ne semble craindre ni rien, ni personne. Présente et discrète, elle parle fort quand il le faut, mais toujours au nom de la foule de celles qui en ont assez d’être bâillonnées. Troisième représentante féminine à accéder en Europe à la fonction de ministre, elle aurait pu bénéficier d’un engouement. Il n’en est rien, ou si peu.

Jean-Michel Rodrigo rappelle :

« Les militantes espagnoles de 1936 ont osé un tel bon en avant, qu’elles ont été enterrées vivantes. Y compris par une grande partie du camp républicain. L’exemple de leur audace, de leur courage et de leur liberté ne devait à aucun prix se propager. Personne n’a pensé sur le moment qu’elles avaient pris le pouvoir bien au-delà des unions et des coopératives, des universités et des conseils des Ministres. Federica Montseny, symbole du feu d’artifice qu’a été la République espagnole (la Deuxième) a donc tristement disparu de nos mémoires, mais que l’on se rassure, à la première immersion dans le passé, elle réapparait avec une fraîcheur et une incroyable vitalité. Anarchiste et écrivain, pédagogue d’avant-garde et oratrice fantastique, ministre de la République Espagnole en 1937, auteure de la première loi européenne en faveur de l’avortement, Federica Montseny a subi les revers de la guerre civile, s’est noyée dans la masse des exilés de 1939 avec sa famille. Pendant la guerre, elle est arrêtée par la police de Pétain, condamnée mais pas extradée parce qu’elle est enceinte… Un épisode, parmi d’autres qui font de sa vie un roman.  Après la Deuxième Guerre mondiale, comme des milliers de libertaires, survivants des camps et héros de la résistance, elle choisit Toulouse pour terre d’asile. Comme tous les autres, elle rêve de faire tomber Franco. C’est bientôt la guerre froide, les Trente Glorieuses, la société de consommation. Federica tombe dans l’oubli en même temps que l’utopie libertaire… La poésie et l’humanisme fondent sa pensée. »

Jean-Michel Rodrigo choisit d’entremêler subtilement des séquences contemporaines à Toulouse, témoignages de proches, des analyses d’historiennes et des archives en apportant des touches successives fondatrices pour brosser cette figure emblématique du Frente Popular (Front populaire), tombée dans l’oubli et à laquelle il redonne vie grâce à cet enrichissant documentaire. Entretien téléphonique avec Jean-Michel Rodrigo:

 

Firouz Pillet

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