Planète B, un thriller de science-fiction qui suggère un avenir digne d’un jeu vidéo. Rencontre avec la cinéaste Aude-Léa Rapin et l’actrice Souheila Yacoub
Aude-Léa Rapin a débuté avec deux documentaires avant de passer à la fiction avec La Météo des plages (2014), présenté dans de nombreux de festivals internationaux. La réalisatrice poursuit avec Ton cœur au hasard (2015) qui reçoit de nombreuses récompenses dont le Grand Prix National au Festival International de Clermont-Ferrand et Que Vive l’Empereur (2016), présenté au Festival de Locarno, alors que Les héros ne meurent jamais (2019) est présenté à la 58e semaine de la Critique à Cannes.
Avec Planète B, Aude-Léa Rapin entraîne son public en France en 2039. Une nuit, des activistes, traqués par l’État, disparaissent sans laisser aucune trace. Julia Bombarth se trouve parmi eux. À son réveil, elle se découvre enfermée dans un monde totalement inconnu : PLANÈTE B.
En 2019, la cinéaste a séjourné dans un hôtel sur les bords de la Méditerranée, à flanc de falaises et cette expérience l’a profondément marquée. Ce sentiment d’être isolée et figée dans un espace-temps indéfinissable lui a donné l’impression d’avoir « atterri dans le jeu vidéo Far Cry avec des drapeaux français partout. Le lieu m’a hanté comme si j’avais fait un voyage dans une autre dimension, parmi les fantômes d’une histoire qu’il me fallait désormais écrire. »
Cette expérience lui a fourni l’inspiration pour élaborer, sous une forme d’ode féministe, un film de genre, incarnée par une héroïne, un choix revendiqué de la réalisatrice, qui regrette que la littérature de science-fiction ait si longtemps laissé les femmes de côté dans les rôles de premier plan.
Si Planète B est un scénario original, la réalisatrice s’est nourrie de nombreuses influences et s’est appuyée sur les écrits du Comité Invisible, L’insurrection qui vient, pour dépeindre une société où la jeunesse se soulève, même si la société ne manifeste plus sa colère. En outre, elle a puisé dans une cinéphilie variée, un riche vivier d’inspirations comme Punishment Park (1970) de Peter Watkins, Le Prisonnier, une série britannique des années septante, Get Out (2017) de Jordan Peele, Old (2021) de M. Night Shyamalan ou encore The Truman Show (1998) de Peter Weir. Recherchant un rétro-éclairage, elle s’est nourrie d’Alien et de Blade Runner de Ridley Scott.
La cinéaste traite ici des sujets des dérives politiques, policières ou judiciaires. D’ailleurs, le personnage de Nour a été créé par Aude-Léa Rapin suite à sa rencontre avec Mohammed, un jeune journaliste irakien qui, après un reportage jugé immoral par la junte militaire en place, a été contraint à l’exil.
Sur le plan formel, l’esthétique du film oscille constamment entre le réel et la fiction et, avec sa directrice de la photographie Jeanne Lapoirie, Aude-Léa Rapin a cherché à marier cette différence et a « sculpter le noir » pour figurer la réalité, avec pour référence les films Good Time (2017) des frères Safdie et Les Fils de l’homme (Children of Men) d’Alfonso Cuarón (2006). Ainsi, la réalisatrice campe une société fracturée socialement, plus violente et appauvrie, dans laquelle subsiste une survie alternative qui s’en sort par la débrouille. Contrastant de manière poignante, le monde virtuel de Julia est a priori paradisiaque et lumineux avec un bleu lumineux et un côté prison invisible, une référence à Dôme de Stephen King. C’est le réalisateur Bertrand Bonello, également compositeur de ses propres films, qui signe la bande originale de Planète B. La musique se fond avec les univers très différents, réels, virtuels, cauchemardesques, guerriers. Revendiquant le « girl power », la cinéaste s’est entourée, à quelques petites exceptions près, d’une équipe artistique largement constituée de femmes, une situation encore malheureusement rare au cinéma.
Adèle Exarchopoulos campe la jeune activiste et le public genevois aura la joie de voir à ses côtés Souheila Yacoub que Aude-Léa Rapin a choisie après l’avoir vue dans la pièce Tous des oiseaux de Wajdi Mouawad. Depuis quelques années, l’actrice genevoise Souheila Yacoub est la valeur montante du septième art, travaillant de manière ininterrompue depuis la Berlinale en 2020, où elle présentait Le sel des larmes, de Philippe Garrel. En 2021, l’actrice genevoise était au Festival de Cannes pour deux films présentés à la Quinzaine des Cinéastes : Entre les vagues, d’Anaïs Volpé, et De bas étage, de Yassine Qnia. Récemment, on a pu la voir à l’affiche de la comédie Making of (2023) de Cédric Kahn et de la superproduction Dune 2 (2024) de Denis Villeneuve.
Présentes à l’occasion de la trentième édition du GIFF 2024, Aude-Léa Rapin et Souheila Yacoub nous ont parlé de Planète B. Rencontre:
Firouz E. Pillet
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