PriFest 2021 – Full Moon (Pun mjesec) de Nermin Hamzagić remporte le prix de la critique internationale (FIPRESCI) au 13e Festival international du film de Prishtina
La 13e édition du Festival du film de Pristina (24-29 août 2021) a été impactée, comme tous les événements culturels, par la pandémie qui afflige le monde depuis une année et demie. Malgré cela, les deux cofondateurs du festival – Vjosa Berisha, directrice du festival et Fatos Berisha, directeur artistique – et leur formidable équipe ont réussi à mettre sur pied une édition de haute qualité, avec quelques invités internationaux, un programme riche et varié et des événements, touchant à l’industrie du cinéma, d’une importance cruciale permettant aux artistes des Balkans de se mettre en réseau, de rencontrer des producteurs, agents de casting, managers, distributeurs, représentants des médias. PriFest, avec ces rencontres professionnelles, est une plateforme très efficace qui permet d’être le point de départ de nombreux projets qui iront plus tard se nourrir à d’autres structures et festivals comme Sundance, la Berlinale ou Cannes.
Et il y a bien sûr le public de Prishtina qui a pu assister, en plein air et/ou en salles – souvent pleines à craquer pour les films kosovars – à un événement culturel ouvert sur les problèmes de société, sur le monde, son histoire, mais qui projette aussi l’élan de sa jeunesse vers l’avenir.
Dans la section de la compétition des Balkans, le prix FIPRESCI est allé au premier long métrage de Nermin Hamzagić, Full Moon (Pun mjesec ; Bosnie-Herzégovine) qui avait déjà reçu le prix du jury œcuménique au festival de Cottbus 2019. Avec un petit budget, le réalisateur bosniaque offre une immersion vertigineuse dans la topographie d’une société rongée par la corruption et le manque de perspective post-guerre – une thématique qui revient dans nombre de films présentés dans cette section.
Dans une unité de lieu et de temps, Full Moon nous entraîne dans la folle nuit de Hamza (Alban Ukaj), rongé d’inquiétude pour sa femme qui doit accoucher, mais fait face à des complications. Impossible pour lui de rester à ses côtés, le responsable du poste de police n’ayant personne pour le remplacer. La lune est pleine, comme le ventre de sa femme ; elle va subrepticement instiller du fantastique dans l’hyper réalisme de ce commissariat glauque, aux soubassements insalubres où sont menés les personnes arrêtées durant la nuit dans des cellules.
Le film est porté par le jeu subtil, tout en intériorité d’Alban Ukaj (acteur Kosavar né à Prishtina, vu entre autres en 2020 dans Quo Vadis, Aida?; en 2017 dans The Marriage, film représentant le Kosovo aux Oscars ; ou dans Le Silence de Lorna des Frères Dardenne en 2008). Car Hamza n’est pas un héros, c’est un homme ambivalent qui, dans une sorte d’épiphanie lorsqu’il rencontre dans un couloir vide le petit Tarik sorti de nulle part, tente de sortir d’un système dont il a jusqu’à présent profité. La corruption à tous les niveaux, le clientélisme, l’absence d’éthique – même chez les médecins qui ne lui donnent pas de nouvelles de sa femme au téléphone car il ne les a probablement pas douillés –, la violence physique et psychologique exercée par les agent.es de l’État, mais aussi au sein de la collectivité par les individus, sont représentés au fil de la nuit à travers les rencontres qu’Hamza fait dans les couloirs du poste de police, avec des incises très révélatrices sur les ressorts atones de la société comme la solitude de ceux dont les enfants ont émigré ou les femmes, veuves de guerre, qui ont dû élever leurs enfants seules. Une génération perdue se dessine, qui n’a qu’un rêve, celui de partir, et quand ce n’est pas possible, qui prend l’option de la survie à tout prix sans égards pour les autres.
Un homme simple, Muhamed (Izudin Bajrovic), vendeur de ballons de baudruche, va réveiller tout ce petit monde enlisé dans cet univers mafieux, en criant :
J’aurais préféré être assassiné en 1993 pour ne pas voir ce qu’on est devenus !
Les longs couloirs qu’Hamza arpente toute la nuit sont un concentré de la situation dans laquelle le pays se trouve. Le scénario, co-écrit par le réalisateur avec Emina Omerovic, dans une approche holistique, met en évidence de manière acérée l’impact du politique sur le citoyen, l’imbrication organique du collectif et de l’individuel. La mise en scène originale du cinéma européen dans lequel s’inscrit Hamzagić permet d’entrer dans le quotidien de citoyens de condition modeste, avec ses nombreuses ombres et ses quelques éclats de lumières ; l’esthétique désaturée de Full Moon procure visuellement un miroir aux états blafards dans lesquels se trouvent les protagonistes. Cette force cinématographique, portée également par une caméra souvent subjective (le directeur de la photographie est Amel Dikoli) et une découpe rigoureuse de l’espace et des cadres, se combine avec de puissantes métaphores qui viennent éclairer de leurs couleurs vives le récit et le doter d’un peu d’espoir – celui de la reconstruction d’un pays et d’une société – qui se matérialise délicatement dans un ballon jaune annonçant une nouvelle génération prête à prendre son envol.
De Nermin Hamzagić; avec Alban Ukaj, Ermin Sijamija, Muhamed Hadzovic, Izudin Bjrovic, Jasna Diklic; Bosnie-Herzegovine; 2019 ; 85 minutes.
Malik Berkati, Prishtina
[Par souci de transparence, nous indiquons que l’auteur de l’article faisait partie du jury FIPRESCI de la 13e édition de PriFest ; N.D.L.R.]
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