Rencontre avec le documentariste Stéphane Goël pour son dernier film: Insulaire
En 1877, Alfred von Rodt, un aristocrate bernois, devient gouverneur d’une minuscule île au large des côtes chiliennes. Il règne jusqu’à sa mort sur «son petit royaume» peuplé de quelques dizaines d’insulaires et de milliers de chèvres. Ses descendants, fiers de leurs origines helvétiques, rêvent d’autonomie politique et songent à réguler l’immigration. Cette île est une métaphore, un morceau de Suisse perdue dans l’océan.
Presque cent-cinquante ans après le Baron von Rodt, qui a quitté le canton de Berne pour partir à l’aventure et parcourir le monde, avant d’acheter une île de l’Archipel chilien Juan Fernandez pour s’y établir, Stéphane Goël s’envole pour le Chili avant de s’embarquer sur le cargo mensuel qui l’amène sur l’Ile Robinson Crusoe. Si le nom de Robinson Crusoe nous amène immédiatement à songer au roman de Daniel Defoe, les férus de piraterie savent que c’est sur cet îlot volcanique désert que le marin écossais Alexander Selkirk est débarqué en 1704 et qu’il y vécut dans une solitude absolue pendant plus de quatre ans.
Les encyclopédies ou les atlas géographiques nous apprennent que « L’île Robinson Crusoe, autrefois appelée Más a Tierra, Más Atierra ou encore Aguas Buenas, est une île du Chili située 674 kilomètres au large des côtes d’Amérique du sud, dans l’Océan pacifique ». Mais les informations au sujet de cette île du bout du monde restent succintes.
Stéphane Goël s’intéresse aux lettres envoyés par un certain Baron von Rodt à sa famille en Suisse, des lettres « dont le but est clair : obtenir de l’aide financière. » En effet, le Baron von Rodt, dont les réflexions du Baron von Rodt sont lues par Mathieu Amalric, a acheté cette île et a réussi à convaincre une poignée de téméraires de nationalités diverses à le suivre dans cette aventure sur une terrain essentiellement montagneux et inhospitalier car à la terre volcanique, et dont l’espace habitable est minuscule.
Pourtant, sur ce lopin de terre, le baron von Rodt et ses acolytes sont parvenus à développer une communauté autonome qui vit essentiellement des produits de la pêche, Au fil des décennies, les premières de première nécessité sont amenés tous les mois par un cargo qui vient du continent.
Si cette île est bien éloigné des clichés des îles paradisiaques aux plages de sable blanc et aux cocotiers, les habitants se contentent de cette vie austère … Jusqu’au jour où un séisme d’une magnitude extrême provoque, en 2010, un tsunami qui dévaste l’île. Les « plastics », comme les surnomment les habitants de l’île, arrivent du continent en renfort pour apporter secours, aliments et soins. Mais certains « plastics » décident de rester sur l’Ile Robinson Crusoe. Apparaissent alors des craintes de voir l’équilibre des insulaires prétérités par ces continentaux, ces « étrangers » qui ne semblent pas les bienvenus. Etonnement, même si le film se déroule au bout de l’hémisphère Sud, certaines réactions font écho à celles de nos compatriotes. La peur de l’Autre et sa kyrielle de craintes infondées s’avèrent universelles. Tout au long du récit qui accompagne les images, le film de Stéphane Goël invite à la réflexion. Ce baron, excédé par l’étroitesse d’esprit de son milieu, désireux de connaître le monde et ses civilisations, est parti au bout du monde mais ses descendants redoutent l’arrivée des écrangers venus du continent. Eternel retour des angoisses viscérales de l’être humain quand il méconnaît.
Pour découvrir ce paradis que le Baron von Rodt dit avoir trouvé dans le Pacifique, Stéphane Goël et son équipe ont passé deux mois sur l’Ile Robinson Crusoe. Deux mois durant lesquels ils ont découdert les descendants du baron helvétique qui n’ont conservé ni la langue ni les us de leur ancêtre si ce n’est de hisser un drapeau suisse flottant au milieu d’une guirlande de pavillons représentant chaque canton suisse. Insolite et inattendu !
Présenté l’été dernier au 71ème festival de Locarno, Insulaire a aussi été présenté à Tübingen en octobre et novembre 2018, au Festival de documentaires audiovisuels de Biarritz en janvier 2019 ainsi qu’aux Journées cinématographiques de Soleure en janvier 2019.
Nous avons rencontré Stéphane Goël dans la Tour de la RTS, à Genève.
Propos recueillis par Firouz-E. Pillet
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