Smoke Sauna Sisterhood : Sueur et énergie vitale. Rencontre avec Anna Hints
Anna Hints, réalisatrice, scénariste et compositrice estonienne, a consacré sept années à l’achèvement de son premier long métrage. La persévérance a payé, Smoke Sauna Sisterhood a remporté de nombreux prix, avec au début de l’année le Prix de la réalisation documentaire de cinéma mondial au Festival du film de Sundance et, en fin d’année, le Prix du cinéma européen du meilleur documentaire ; il représente par ailleurs l’Estonie aux Oscars pour le meilleur film international. Mais le plus étonnant, c’est l’accueil public qui lui a été fait lors de sa tournée des festivals et lors des sorties nationales accompagnées de Premières : de nombreux·ses spectateurs·trices en sortent bouleversé·es, la parole se dénoue et les témoignages affluent vers la réalisatrice et dans les discussions d’après-projection. Car Smoke Sauna Sisterhood touche une corde sensible en explorant des thèmes intimes d’une manière qui résonne avec une large gamme d’expériences humaines, créant ainsi une connexion profonde et significative avec le public d’où qu’il vienne.
La cinéaste nous plonge dans l’atmosphère d’un sauna à fumée traditionnel du sud de l’Estonie (tradition inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO), dans la communauté de Võro, où des femmes de tous âges engagent de profondes conversations lors de séances de sauna. La parole, empreinte de pudeur, se libère à mesure que le corps transpire, dans un dispositif cinématographique qui fait la part belle au hors-champ, au clair-obscur et à l’immersion sensorielle.
Ces femmes, résolument dépourvues de complaisance et d’auto-apitoiement, partagent leurs expériences intimes, parfois redécouvertes et longtemps enfouies dans leur subconscient. Les violences ordinaires, les agressions sexuelles, les brimades, les relations familiales, les espoirs déçus, les changements de parcours de vie sont abordés, le tout est ponctué par des moments cathartiques de rire et de fouettage avec la vihta, le bouquet de branches de bouleau qui stimule la circulation sanguine, mais permet aussi d’expulser les émotions.
Malgré la gravité des histoires qui s’échappe dans la fumée du sauna, une énergie vitale émane de Smoke Sauna Sisterhood. En sortant de sa projection, on se sent nettoyé·es de certaines de nos propres scories, enveloppé·es par cette alternance de lumières chaudes du sauna, froides et revigorantes de l’extérieur qui apaisent les brûlures émotionnelles, apaisé·es par la musique chamanique qui accompagne le récit et les sons du sauna qui ponctuent les silences.
Entretien effectué au Zurich Film Festival 2023.
Les bains chauds où l’on nettoie son corps et son âme, où l’on se rencontre et échange, existent dans de nombreuses cultures : qu’est-ce qui, selon vous, définit spécifiquement les saunas nordiques ?
Les saunas à fumée occupent une place singulière dans notre culture. Traditionnellement, ils sont le lieu de naissance et de purification des défunts et des malades. Ma grand-mère le décrivait comme un espace cosmique offrant l’opportunité de se reconnecter avec soi-même et de se redéfinir. Des moments spécifiques sont dédiés aux soins des malades, tandis que l’automne avancé réserve des instants particuliers où, selon nos croyances, nos ancêtres nous rendent visite. Durant cette période, le sauna est préparé pour accueillir les esprits. Cette pratique repose sur une philosophie profonde de connexion avec la nature, soulignant que le temps et les choses ne suivent pas une trajectoire linéaire, mais plutôt cyclique, en harmonie avec la nature. De manière similaire à la fréquentation d’une église, notre visite au sauna représente un acte rituel, une quête de cette connexion profonde avec notre environnement et nos racines.
Ces saunas sont-ils spécifiquement estoniens ou existent-ils dans la région ?
Effectivement, cette tradition des saunas à fumée était répandue dans la région, notamment en Finlande. Cependant, une grande partie de cet héritage s’est malheureusement perdue au fil du temps, laissant subsister cette pratique uniquement dans le sud de l’Estonie. La tradition du sauna à fumée à Võromaa est même inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, préservant ainsi physiquement le lieu du sauna. Pour moi, c’est bien plus qu’un simple lieu physique ; c’est une façon de vivre et un état d’esprit. Cette spiritualité particulière demeure vivante dans cette région de l’Estonie.
Les femmes que l’on voit dans votre film représentent une large variété de personnes. Sur quels critères avez-vous choisi de faire écho à leurs paroles dans le film ?
J’ai consacré sept ans à la réalisation du film, commençant initialement au sein de ma propre communauté, une sorte de sororité, bien que je me définisse personnellement comme non-binaire. Étant donné la petite taille de l’Estonie, l’information sur le tournage s’est progressivement répandue, attirant l’attention de personnes qui ont commencé à me contacter. Un jour, alors que je vivais à la campagne, une femme est arrivée en sautant de sa voiture, demandant avec énergie : « Où est le sauna à fumée ?! » J’ai trouvé cela irréel, mais en même temps intriguant. Cela m’a incité à ouvrir le film en écoutant mes tripes.
J’ai établi une règle : ne pas discuter des histoires personnelles avant la séance de sauna. Chaque fois que nous y entrions, quelque chose se produisait, mais uniquement à cet endroit. Si une séance durait quatre heures, nous commencions à transpirer, puis les impuretés commençaient à sortir, révélant émotions et inconscients. On ne savait jamais ce qui allait se passer : c’était toujours spécifique et organique, dépendant de ce moment particulier. Parce qu’une histoire peut engendrer une autre histoire. Je voulais conserver cet esprit d’entrer dans le sauna et de partir ensemble vers l’inconnu.
Il y a ici un rapport particulier à l’image des protagonistes…
Lorsqu’on aborde la réalisation de films, ce qui revêt de l’importance à mes yeux n’est pas tant le choix du film que la manière dont il est réalisé. Je perçois de nombreuses problématiques à ce sujet, notamment dans l’enseignement dispensé dans les écoles de cinéma. Par exemple, l’idée que l’on puisse se considérer comme de grands artistes, octroyant ainsi le droit de manipuler les gens, me semble être un point de discorde avec le milieu. C’est pourquoi j’ai établi une règle personnelle : ne chercher à persuader personne. Dès le départ, je définissais de manière transparente et honnête le type d’intimité que je recherchais pour le film. Le processus ne se poursuivait que lorsque la personne exprimait fermement son accord en disant « oui, je veux être dans ton film ». Dès que je percevais la moindre hésitation, je l’interprétais comme un « non ». Toutefois, ce « oui » ou cette hésitation pouvaient évoluer avec le temps. Certaines femmes qui avaient initialement refusé ou hésité m’ont ultérieurement contacté pour participer.
Un autre aspect important est la nécessité de signer un contrat préalablement, indiquant l’acceptation que les images filmées soient utilisées et diffusées, impliquant ainsi que l’image appartient à la compagnie de production. J’étais en désaccord avec cette approche. L’idée de créer une telle intimité sous contrainte contractuelle me semblait inconcevable.
La réalisation d’un film implique également une réflexion approfondie sur la manière dont vous travaillez et avec qui, et la recherche d’une équipe qui partage votre vision. Ma productrice et moi étions d’accord sur le principe que l’ensemble du projet reposait sur la confiance. Nous avons convenu que ce n’est qu’au moment du montage et de la post-production que les personnes impliquées donneraient leur accord définitif ou non quant à l’utilisation de leur image. C’était un risque considérable pour la production.
Pendant cinq ans, aucune image n’a été montée, le processus créatif reposant sur la confiance mutuelle. Le montage a pris deux ans, représentant un défi réel pour assembler les histoires. Une chose très intéressante s’est produite : personne n’a souhaité se retirer du projet, mais certaines femmes étaient attristées que leurs histoires ne figurent pas dans le film. Cela a constitué un défi pour moi de les réconforter, en expliquant que ce n’était pas une compétition et que l’importance de chaque histoire était reconnue. Chaque histoire est précieuse, et peut-être que leur récit a donné naissance à une autre histoire. Des choix devaient cependant être faits.
Souvent, les visages et les corps sont dissociés, on ne sait pas qui est qui ni qui fait quoi, d’un point de vue narratif, c’est très intéressant. Pourquoi ce choix ?
Pendant sept ans, de nombreuses femmes ont été impliquées. Initialement, aucune ne souhaitait que son visage soit capturé à l’écran, ce qui m’a interpellée sur la persistante honte entourant l’exposition de soi dans notre société. Toutefois, à mesure que je filmais, j’ai développé une réelle appréciation pour cette approche sans visages et l’esthétique qui en émanait. Lorsque mon amie Kadi Kivilo m’a exprimé son désir de figurer dans le film à visage découvert, j’ai été confrontée à un dilemme : « Dois-je suivre ma propre consigne artistique ou non ? » Nous sommes allées dans le sauna à fumée, et là, quelque chose de remarquable s’est produit lorsque Kadi, écoutant attentivement, était présente. J’ai indiqué au directeur de la photographie : « Concentre-toi sur son écoute. » C’était fascinant. J’ai observé la beauté qui émergeait lorsque Kadi, à travers son visage et son écoute, offrait aux spectateurs un visage à écouter.
Je me suis aussi continuellement demandé si cela reflétait vraiment l’authenticité de mon expérience du sauna. Et oui, c’était le cas. En entrant dans le sauna, les vêtements disparaissent, emportant avec eux tous les préjugés que l’on porte sur soi-même. Votre nom, votre profession, tout cela perd de son importance. Vous êtes là, nu, simplement vous-même. Une intimité partagée avec d’autres sans connaître le moindre détail de leurs vies. Cela va bien au-delà.
Comment avez-vous défini la façon de filmer avec votre chef opérateur ?
Depuis le début, le défi était de filmer de nombreux corps féminins nus tout en évitant le regard masculin (le male gaze). Quand je mentionne le « regard masculin », je fais référence à quelque chose qui va au-delà du genre : c’est l’influence de l’état d’esprit patriarcal. C’est une réalité que nous subissons toutes et tous, peu importe comment nous nous définissons. En tant que photographe de formation, je me souviens des premières leçons où on nous expliquait que la caméra était un objectif sans regard qui reflète la réalité. C’est une ineptie, car l’utilisation d’une caméra est toujours subjective, il y a toujours un regard. Mais comment être conscient du regard que nous portons ? En tant que cinéaste, nous ne pouvons pas ignorer cette réalité.
Pour moi, il s’agissait de trouver la bonne approche pour montrer les différents corps des femmes sans les sexualiser ni les objectifier. Au début, j’ai expérimenté avec mon propre corps pour développer un langage que j’ai partagé avec les femmes impliquées, afin qu’elles se sentent en sécurité et à l’aise. La réalisation, pour moi, ne se limite pas simplement à filmer des gens, mais aussi à réfléchir à comment les filmer. C’est un acte politique auquel je prête une grande attention. Les retours, tant de femmes que d’hommes, ont été nombreux et surprenants. Ils et elles m’ont contactée, étonné·es de voir des corps de femmes d’une manière qu’ils et elles n’avaient jamais envisagée. La plupart n’avaient pas réalisé à quel point leur vision était conditionnée par le regard masculin. Une femme de 65 ans m’a envoyé un message expliquant qu’elle avait pris rendez-vous avec un photographe : après des années de guerre avec son corps, elle avait décidé, en regardant le film, de mettre fin à cette lutte et de s’accepter. Cela s’inscrit également dans le concept de « l’acceptation de soi radicale ».
Est-ce que ces saunas de fumée sont aussi pour les hommes ?
Oui, il est vrai que des hommes fréquentent aussi les saunas à fumée traditionnels. Cependant, ce qui m’amuse, c’est qu’après avoir visionné le film, certains d’entre eux sont venus me dire : « Pourquoi allons-nous dans ces saunas et parlons de banalités au lieu d’aborder des sujets réels ? » Certains m’ont même demandé si je pouvais faire un « Smoke Sauna Brotherhood », à quoi j’ai répondu : « Eh bien, les gars, vous devriez d’abord créer une fraternité ! Vous devriez d’abord vous ouvrir, commencer à transpirer et devenir vulnérables, laisser émerger la vraie saleté. » Alors oui, ils y vont, mais avec une approche différente. Cela reflète l’influence de l’état d’esprit patriarcal qui pousse à dissimuler sa vulnérabilité. D’ailleurs, pourquoi les femmes ont investi ces lieux ? Elles pouvaient y donner naissance, mais c’était aussi l’un des rares endroits où elles pouvaient être nues dans tous les sens du terme.
Votre film est très organique, la caméra est très proche des protagonistes dans leurs gestes, leurs rituels…
Oui, je voulais créer, et c’était un défi, un état dans lequel la spectatrice, le spectateur ressente physiquement le sauna à fumée. Les choix opérés allaient au-delà de l’aspect visuel ; il était nécessaire de trouver un moyen d’être au plus près des corps, de participer à la séance de sauna, sans adopter une perspective voyeuriste.
Le son est très important dans votre film, on peut presque le suivre en fermant les yeux !
Je suis très touchée par cette remarque. Un poète renommé en Estonie, malgré sa cécité, a eu la possibilité de vivre le film à travers l’écoute, et il l’a adoré. Il m’a confié qu’il se sentait transporté dans le sauna à fumée. Cela me remplit de bonheur, car c’était précisément mon objectif : communiquer, par la fusion du visuel et du son, l’essence d’une expérience aussi singulière. Mon défi était de faire en sorte que les spectateur·trices ressentent leur corps et leur âme à travers l’écran, que les émotions émanent de chaque pore de leur être.
Quels sont les défis techniques de filmer dans un sauna ? Comment avez-vous fait avec votre directeur de la photographie ?
C’était une véritable folie ! Nous nous sommes lancés dans l’aventure, décidant de tourner un film dans un espace confiné, avec une température moyenne de 80 degrés Celsius, parfois plus, et ce, dans l’obscurité totale, sans électricité… Mais une fois de plus, tout dépend des personnes avec lesquelles vous choisissez de travailler et de leur volonté à relever de tels défis.
Nous avons dû nous adapter non seulement à cette situation d’intimité, mais aussi sur le plan technique. Autour d’Ants Tammik, des paquets de glace étaient disposés, avec un objectif à l’intérieur du sauna et un à l’extérieur. Celui à l’intérieur devait être constamment ajusté en fonction de la séance et de la chaleur : d’abord en bas, puis monté sur le premier banc, puis sur le second, et ainsi de suite. Le directeur de la photographie portait des gants à cause du métal de la caméra qui aurait pu le brûler, et nous le vaporisions régulièrement d’eau pour éviter tout évanouissement. Le défi était de préserver l’espace émotionnel tout en assurant la sécurité physique de toutes et tous. Une règle était établie : si quelqu’un·e avait besoin de sortir, il ou elle sortait. Je suis contente, personne n’a subi de dommages (rires).
Ants Tammik était un homme qui filmait l’intimité de femmes…
C’est ce qui est également intéressant à propos du directeur de la photographie : au début, je voulais une femme tenant la caméra. Il devait y avoir une collaboration avec la Finlande, mais le premier producteur est décédé, et j’ai dû m’orienter vers l’Estonie. C’est un vrai problème en Estonie : il y a très peu de directrices de la photographie. Je me suis vraiment posé la question : devais-je choisir une directrice de la photographie pour des raisons politiques, ou devais-je opter pour quelqu’un avec qui j’avais déjà une relation profonde ? Malheureusement, je n’avais pas de lien fort avec une directrice de la photographie, alors j’ai fait ce choix. C’est un camarade de cours très sensible. J’ai compris que je ne devais pas choisir en fonction du genre, que le critère devait être l’âme. Je l’ai bien sûr testé en présence des femmes, et elles se sont toutes senties en sécurité. Il a un corps masculin mais une âme sensible. Je n’ai jamais ressenti de sa part un « regard masculin », nous avons travaillé de manière très belle.
Ce qui rend également l’expérience fascinante avec notre directeur de la photographie, c’est le cheminement initial. Mon désir était d’avoir une femme derrière la caméra, en envisageant une collaboration avec la Finlande. Malheureusement, le décès du premier producteur a changé la donne, me conduisant vers l’Estonie. Ici réside un défi spécifique à l’Estonie : le nombre restreint de directrices de la photographie. Lorsque j’étudiais le cinéma, c’était simple, il n’y avait que des hommes. C’est là que je me suis confrontée à une question délicate : devais-je privilégier une directrice de la photographie par conviction politique, ou opter pour quelqu’un avec qui j’avais déjà établi une connexion profonde ? Malheureusement, je ne disposais pas d’un lien fort avec une directrice de la photographie, ce qui a orienté ma décision. Je ne le qualifie pas de « lui », mais d’ « être humain ». Il s’agit d’un camarade de cours exceptionnellement sensible. J’ai compris que le critère de choix ne devait pas être basé sur le genre, mais plutôt sur l’âme. Ce choix a été confirmé lorsque je l’ai testé en présence des femmes, qui ont toutes exprimé un sentiment de sécurité. La collaboration a été marquée par une beauté singulière, dénuée du fameux « regard masculin », et a démontré que l’âme transcende toute autre considération.
Cependant, je tiens à souligner qu’il doit absolument y avoir plus de diversité dans les écoles de cinéma, afin que nous puissions choisir les personnes qui conviennent le mieux à nos projets.
Est-ce que vous êtes surprises de tout cet enthousiasme, des réactions du public, toutes ces personnes qui viennent vous voir après la projection pour vous parler de leur propre vécu ?
Quand vous me posez cette question, je sens les larmes me monter aux yeux. Je suis profondément touchée. Lorsque je crée, je n’attends rien en retour. Les festivals et autres événements ne sont pas au centre de mes pensées. Je mets tout mon cœur dans mes projets, et en tant qu’artiste, on se trouve dans une grande vulnérabilité, sans savoir comment le monde réagira. Pour moi, il s’agit également de préserver la sororité du projet.
Cependant, il y a tellement d’écho autour du film, d’histoires partagées. Une Japonaise l’a vu six fois, expliquant que dans sa culture, il n’y a pas cette possibilité d’expression de vulnérabilité. Ainsi, elle va au cinéma pour tenter de traiter sa propre voix intérieure. C’est cela qui rend cette expérience si précieuse.
Vous voulez dire que votre film est son sauna ?
Oui ! Il y a également des femmes présentes dans le film qui ne voulaient pas révéler leur identité au départ, mais qui partagent maintenant sur les réseaux sociaux des morceaux d’elles-mêmes, montrant leur bras, leur jambe, etc. On ne peut jamais anticiper ce genre de réaction, mais l’ampleur de cet écho est tout simplement inconcevable.
En tant qu’artiste, on doit tout mettre sur la table, être prêt·e à échouer, à ce que cela n’intéresse personne. C’est, à mes yeux, l’essence même d’être artiste. Certain·es font des films dans l’espoir d’être sélectionné·es à Cannes, mais pour moi, cette motivation ne suffirait pas. Les choses doivent venir de l’intérieur, d’une nécessité à les offrir au monde. C’est une question d’humanité.
Pour revenir à votre question, je ressens à la fois de la joie en constatant que le film trouve écho à travers le monde, mais aussi une certaine tristesse en observant tant de personnes à travers le globe ayant enduré des souffrances, et se sentant touchées par des récits qui résonnent avec les leurs. Lorsque les gens partagent leurs histoires, parfois enfouies au plus profond d’eux-mêmes, c’est difficile. Cependant, ma grand-mère m’a enseigné, et je l’ai expérimenté, que nous ne devons pas craindre nos hontes, nos colères et nos souffrances. Parfois, il est nécessaire de plonger dans l’obscurité la plus profonde pour commencer à voir. Lorsque l’on donne une voix à ces expériences, la lumière émerge, le fardeau s’allège, et tout devient plus clair. Ce processus n’a pas été difficile parce qu’une solidarité, un soutien, une chaleur enveloppante étaient présents tout autour, et la magie du sauna à fumée a insufflé une énergie unique.
De Anna Hints ; avec Eva Kübar, Marianne Liiv, Elsa Saks, Maria Meresaar, Kadi Kivilo ; Estonie ; 2023 ; 89 minutes.
Malik Berkati
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