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Swan Song, de Todd Stephens, ou de l’importance de se souvenir du passé et des belles choses

Sous le titre Swan Song, les cinéphiles et les internautes trouveront deux films, tous deux réalisés en 2021 : celui de Todd Stephens avec Udo Kier, dont nous allons parler, et celui de Benjamin Cleary avec Mahershala Ali.

— Udo Kier – Swan Song
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Flamboyant coiffeur retraité, Pat est engagé pour un dernier travail afin de s’occuper de son amie défunte, « a dead bitch! » selon ses termes. Dans une promenade excentrique et sentimentale, il va croiser des personnages et des fantômes de son passé. Swan Song, de Todd Stephens, se déroule à Sandusky, dans l’état d’Ohio, ville natale du scénariste et réalisateur du film, qui est une protagoniste à part entière. S’inspirant vaguement d’une personne réelle de son enfance pour son personnage central, le réalisateur se lance dans l’observation de la vie dans cette petite ville de province, en particulier du milieu gay.

Le film s’ouvre sur une résidence pour personnes âgées dont la vie est scandée par les appels des infirmières au microphone pour rassembler les pensionnaires pour les repas. Dans cet univers morose, cloîtré dans sa chambre, Pat fume cigarette sur cigarette en se remémorant sa gloire passée… Car Pat était cet homme flamboyant, excentrique, admiré et adulé, au port altier et aux tenues clinquantes, suscitant fascination et enthousiasme partout où il passait. Reconnaissable à son allure de dandy tiré à quatre épingles, arborant l’un de ces fabuleux tailleurs-pantalons cintrés, fumant une longue cigarette brune, il se savait apprécié et marquait son arrivée de manière bruyante, voire tapageuse.

En effet, autrefois, Pat Pitsenbarger (Udo Kier) comptait parmi les coiffeurs et drag-queens les plus en vue de la petite ville américaine de Sandusky. Aujourd’hui, il se contente de plier les serviettes dans une maison de retraite. Mais le décès de son ancienne cliente Rita va le tirer de sa monotonie : Pat doit rentrer chez lui pour offrir à Rita sa dernière coiffure. Un voyage fou entre costume vert pastel, bijoux scintillants, bague à chaque doigt et cigarette au bec qui va lui permettre de se retrouver.

Dans Swan Song, Udo Kier donne vie au « liberace de Sandusky », un personnage très vivant, amusant et coloré. Mais dès les premières séquences, les spectateurs perçoivent une indicible tristesse induite par le temps qui passe, par le fait que ses jours de gloire n’appartiennent plus qu’aux souvenirs et que ses amis de cette époque haute en couleurs sont, pour la plupart, décédés.

Todd Stephens semble avoir écrit un scénario sur mesure pour Udo Kier, un scénario qui résonne incroyablement avec sa vie et avec sa personne. D’ailleurs, le choix de cet acteur pour incarner Pat semble une évidence, l’acteur ayant vécu la vie que Pat avait vécue et qui a perdu des gens à cause du SIDA. Merveilleusement mis en scène, l’artiste culte Udo Kier excelle dans ce rôle d’excentrique vieillissant.

Pat semble avoir renoncé à la vie, attendant que la grande faucheuse vienne le chercher dans la maison de retraite. Mais, un jour qui semble avoir commencé de manière aussi banale comme les autres, un avocat vient lui présenter les dernières volontés d’une ancienne amie et cliente qui, dans son testament, a exigé que sa dépouille soit préparée et coiffée par Pat. Après un refus catégorique de Pat se rappelant que sa fidèle cliente l’avait abandonné pour la concurrence, il se ravise, voyant dans cette offre la possibilité de s’échapper de la routine du home. S’échappant incognito de la résidence en chevauchant un fauteuil électrique, Pat se retrouve à faire su stop pour gagner Sandusky. Au fil des rencontres, Pat parvient toujours à avoir un impact sur les nouvelles personnes qu’il croise, sachant se faire apprécier comme il le faisait à sa grande époque. La fougue est quelque peu atténuée quand Pat constate, avec nostalgie, que sa ville natale a changé.

Avec les changements opérés dans cette ville que Pat a si bien connue et tant aimée, il est aussi question de vieillissement, et par là-même de deuils à faire, tant symboliques que réels. Pat a perdu son compagnon, l’homme de sa vie, mort du sida depuis de nombreuses années, mais la souffrance de l’absence de l’être aimé est vivace. Alors que Pat parcourt la ville pour essayer de retrouver ses amis du music-hall gay, il rencontre la nouvelle génération de jeunes homosexuels et transsexuels auxquels il transmet sa bonne humeur, son entrain, son autodérision dans une sorte de passage de flambeau émouvant.

Udo Kier porte le film sur ses épaules, imprégnant de sa présence chaque scène avec classe, extravagance et flamboyance. Il ne s’agit pas d’un feel-good movie, si prisé à l’heure actuelle : Swan Song parle de la vie, de l’amour, de l’amitié sans occulter les facettes plus sombres telles la maladie et la mort.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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