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Tár, de Todd Field, amène Cate Blanchett à livrer une performance stupéfiante de virtuosité

Lydia Tár (Cate Blanchett), cheffe avant-gardiste d’un grand orchestre symphonique allemand, est au sommet de son art et partage sa vie entre concerts, répétitions avec l’orchestre qu’elle dirige et les cours qu’elle donne à l’École Julliard. Le lancement de son livre approche et elle prépare un concerto très attendu de la célèbre Symphonie n° 5 de Gustav Mahler. Lydia Tár partage sa vie avec Sharon Goodnow (Nina Hoss), son premier violon, avec laquelle elle a une petite fille, Petra. Une autre femme, Francesca Lentini (Noémie Merlant) musicienne dans l’orchestre, est très proche de Lydia Tár comme assistante dévouée et admirative de Lydia, voire un brin amoureuse. Tout semble couler de sources dans la vie de Lydia mais, en l’espace de quelques semaines, sa vie va basculer d’une façon singulièrement actuelle, les moyens de communication contemporaine aidant à la conduire à l’autel de l’opprobre international.

— Cate Blanchett et Nina Hoss – Tár
© 2022 Focus Features, LLC.

Dès les premières scènes, le public est emporté par la présence charismatique et le jeu exceptionnel de Cate Blanchett qui livre indubitablement l’une des meilleures performances de sa carrière. Incarnant de manière très convaincante cette cheffe d’orchestre à la nature complexe, fréquemment exaspérante, souvent odieuse et tranchante avec ses proches comme avec ses musiciennes et ses musiciens, l’actrice donne une telle authenticité à son personnage qu’on en oublie rapidement qu’il s’agit d’une fiction et non d’un documentaire.

Le reste de la distribution est tout aussi excellent, avec l’exceptionnelle prestation de la jeune musicienne qui interprète une très jeune violoncelliste russe, Olga Metkina (Sophie Kauer), prodige du violoncelle qui chamboule les relations au sein de l’orchestre et ne laisse pas Lydia Tár indifférente.

Todd Field a élaboré un scénario brillant en peaufinant une observation acérée de l’univers de la musique classique, des répétitions d’un orchestre symphonique et des concerts. Il a spécifiquement écrit Tár pour Cate Blanchett, convaincu que l’actrice saurait, par sa virtuosité et la vraisemblance de son interprétation, incarner parfaitement la palette de réactions, les sautes d’humeur et l’attitude tyrannique de cette cheffe d’orchestre.

Pour réussir à être aussi convaincante, Cate Blanchett s’est particulièrement investie dans ce rôle pour lequel elle a appris à parler allemand quasiment sans accent. En sus des cours d’allemand, l’actrice a pris des leçons de piano, des cours pour apprendre la tenue de baguette ainsi que le battement de mesure et c’est elle qui joue au piano tout au long du film sans ne jamais être doublée !

Tár offre une incroyable description du métier de chef d’orchestre, livrant dans le détail le processus de la composition en révélant les rouages de la scène et des coulisses. Mais le film de Todd Field ne se limite pas à la dimension musicale et au labeur d’une cheffe d’orchestre dans un univers qui demeure essentiellement masculin. En effet, le cinéaste a choisi de souligner les mécanismes du pouvoir, de leur répercussion et de leur persistance dans la société. S’étant abondamment documenté auprès de plusieurs musiciens d’orchestre en Allemagne, dont la première femme premier violon de l’histoire de l’orchestre philharmonique de Munich qui lui a confié les difficultés qu’elle a rencontrées dans ce milieu, Todd Field a choisi de montrer le parcours semé d’embûches pour une femme dans un métier où un de ses homologues masculin n’aurait jamais connu de difficultés. Le cinéaste en tire le constat que le monde de la musique classique austro-allemand résiste au changement et demeure figé dans le passé.

Cate Blanchett restitue les responsabilités, autant culturelles que matérielles, qu’impliquent un tel niveau de compétences et de professionnalisme, mais aussi la solitude qui découle de ce statut, ainsi que la charge que représente la direction d’un orchestre symphonique pour une femme, une position ingrate, souvent remise en question par ses homologues.

Un autre élément fondamental du film est la Cinquième Symphonie de Mahler qui constitue la pièce maîtresse de la bande-son du long métrage, référence incontournable à cette œuvre célèbre de la musique classique, rendue fameuse grâce à Mort à Venise de Luchino Visconti, auquel le public songe immanquablement en visionnant le film de Todd Field.

Les magnifiques scènes de répétitions de l’orchestre symphonique livrent une attention extrêmement précise au jeu des musiciens grâce aux cadrages méticuleux. Au fil de l’histoire, le public cerne que Lydia Tár vit par et pour la musique et qu’elle s’est donnée corps et âme à cet art. Son investissement a payé puisqu’on lui a confié la direction d’une importante institution berlinoise mais cette position est remise en question le jour où éclatent au grand jour ses failles et ses fâcheuses propensions à imposer son diktat à tous ses musicien.nes.

À l’issue de la projection, une question taraude les spectatrices et les spectateurs : Todd Field a-t-il été un soupçon influencé par le roman de Kazuo Ishiguro, The Unconsoled, qui se déroule dans une ville anonyme d’Europe centrale où le protagoniste, Ryder, un pianiste de renom, est venu donner la performance la plus importante de sa carrière. Un point sur lequel le public n’a aucun doute est le fait que Tár a fortement contrarié Marin Alsop, une maestra américaine pionnière, très irritée par ce qu’elle qualifie de portrait « misogyne ».

Chaque plan du film de Todd Field est somptueusement composé, remarquablement interprété et dirigé, baigné par une photographie délicate aux tons intimistes. Tár séduira les mélomanes mais sera plus ardu pour qui ne connaît pas la musique classique et les personnes peu enclines à apprécier un vibrato, une syncope ou un contretemps parfaitement exécutés.

Une fois le générique de fin achevé, une certitude s’impose : l’interprétation de ce rôle pourrait bien permettre à Cate Blanchett de remporter un troisième Oscar !

Firouz E. Pillet

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