TIFF 2024 – Daughter’s Daughter de Huang Xi: Un regard féminin sur les relations intrafamiliales
De nombreux sujets s’entrelacent subtilement dans ce film de faible intensité. Rien de spectaculaire, et pourtant des questions profondes et ultimes sont soulevées, telles que les relations mères-filles, les décisions existentielles prises à l’adolescence, la fécondation in vitro, l’adoption… Ces thèmes, traités avec finesse par la réalisatrice taïwanaise Huang Xi, à travers des entrechats narratifs, ne cherchent pas à s’imposer les uns sur les autres, mais s’entremêlent naturellement, reflétant la complexité de la vie de chacun·e.
Jin Aixia est mère de deux filles, mais seule la cadette, Fan Zuer (Eugenie Liu), a vécu avec elle à Taipei. Son aînée, Emma (Karena Lam), a été donné à l’adoption à sa naissance à New York. Emma connaît ses parents biologiques, et c’est à la suite d’un accident de sa mère qu’elle rencontre sa jeune sœur à l’hôpital. Le préambule du film établit ainsi habilement le contexte et les tensions qui animent les relations entre les protagonistes.
Un saut dans le temps, et nous retrouvons Fan Zuer, qui a décidé d’avoir un enfant avec sa partenaire. Une fois encore, la réalisatrice aborde le thème de l’homosexualité sans en faire le sujet central, se contentant de l’évoquer sans insistance. Cette approche subtile montre que, dans la société taïwanaise, les couples de même sexe sont acceptés (Taïwan est le premier pays asiatique à avoir légalisé le mariage pour tou·te·s en 2019, suivi par le Népal en 2023 et la Thaïlande en 2024 ; n.d.a.). Pour procéder à une fécondation in vitro dans une clinique spécialisée, le couple se rend aux États-Unis. C’est de là que parviendra à Jin Aixia un appel téléphonique tragique : les deux femmes ont eu un grave accident de voiture. À son arrivée à New York, Jin Aixia apprend que la compagne de sa fille est décédée sur le coup, et que Fan Zuer n’a pas survécu à ses blessures.
Sous le choc du deuil, une autre nouvelle vient bouleverser Jin Aixia : la directrice de la clinique où les embryons de sa fille ont été fécondés lui annonce qu’elle est la tutrice légale d’un embryon viable. Elle doit désormais décider de son sort : le détruire, l’implanter chez une mère porteuse et le donner à l’adoption à la naissance, ou s’en occuper elle-même. En parallèle des préparatifs pour l’incinération de sa fille, elle doit faire face à cette nouvelle responsabilité, accompagnée de sa fille aînée, Emma. Cette dernière, bien qu’elle ne soit pas dans le reproche et une apparente stabilité dans sa vie, se questionne sur la décision de sa mère de l’avoir donnée à l’adoption à l’âge de 17 ans.
Cette trame ouvre un espace infini autour de la question des choix que chacun·e fait dans sa vie et des conséquences qui en découlent. Loin d’être un film à thèse, et sans jamais porter de jugement, Huang Xi expose simplement les options qui s’offrent aux individus à certains moments de leur existence, parfois avec une marge de manœuvre très réduite, d’autres fois avec beaucoup plus de latitude. Dans le cas de Jin Aixia, son passé, teinté de regrets, se confronte à un avenir où elle doit assumer de nouvelles responsabilités.
La réalisatrice introduit une complexité narrative, à l’image de celle des personnages marqués par les circonstances passées, en insufflant une tonalité affective visuelle et une poésie cinétique dans un drame social tout à fait réaliste, sans jamais forcer les ressorts du mélodrame. Faisant confiance au spectateur et à la spectatrice, les thèmes abordés sont tissés de manière organique au sein de cette dynamique intergénérationnelle — incluant également la grand-mère, figure à la fois périphérique et essentielle. En phase de début de dégénérescence cognitive, celle-ci parvient encore à interagir avec les protagonistes, sans pour autant devoir rendre compte de son rôle décisif dans la vie de sa fille et de ses petites-filles. Cette dynamique souligne les différences de perceptions et de regards sur la vie tout en recomposant le tissu familial au moment où il devient nécessaire de se serrer les coudes et de se soutenir. La balance entre les choix dictés par les émotions et ceux guidés par la raison est impossible à équilibrer scientifiquement. Chacun·e doit tenter de franchir cette étape, d’accommoder les événements, pour finalement apprendre à les façonner, les accepter, et continuer d’avancer, idéalement de manière heureuse, dans la vie.
De Huang Xi; avec Sylvia Chang, Karena Lam, Alannah Ong, Winston Chao, Eugenie Liu, Tracy Chou; Taïwan; 2024; 126 minutes.
Malik Berkati
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