A Long and Happy Life: excellent film russe en compétition de la Berlinale
Encore un film en compétition qui se concentre sur la terre, comme Promised Land ou le western allemand Gold (de Thomas Arslan), et la lutte permanente de l’être humain avec elle. Alors que les deux derniers forment une sorte de boucle dans le Nouveau Monde avec la conquête de la terre commençant par l’appropriation des terres des Premières Nations et finissant par l’appropriation du sous-sol par les compagnie d’exploitation de gaz de schiste, le film russe – dernière partie d’une trilogie – reflète l’économie de la Russie rurale, bien loin des grands centres politiques de Moscou et St. Petersburg.
La ferme, une industrie non-rentable
Sasha, un jeune agriculteur est prêt à entamer une nouvelle vie, prometteuse et heureuse avec sa jeune compagne Anya, rêvant d’un appartement dans un lotissement en ville. Il est à deux doigts de signer avec l’État pour vendre sa terre qui ne lui rapporte quasiment rien si ce n’est des pommes de terre, moyennant une compensation, lorsque les villageois qu’il emploie protestent et veulent qu’il conserve sa ferme, seul moyen de subsistance pour le village. Il devient presque malgré lui un leader pour ces personnes qui dépendent du travail qu’il leur donne et se retrouve embarqué dans une lutte contre le système, les aspirations d’avenir d’Anya, les moyens de survie des villageois, ses propres passions et fiertés.
Le film tourné dans la région de Mourmansk offre le tableau d’une nature magnifique, non industrialisée, parsemée de petites maisons fermières et où les relations entre les représentants de l’État et les citoyens sont plus directes que dans les villes, avec les travers qui vont avec, la corruption, l’intimidation, les abus de pouvoirs, les trafics en tous genres… Le lieu parfait pour filmer, comme le dit le réalisateur Boris Khiebnikov, « ici vous ressentez immédiatement que la nature regarde tout ce que vous faîtes et qu’elle est plus forte que nous ».
L’éternelle limite de l’Homo Faber
Le rêve de cette vie longue et heureuse est-il compatible avec celui de la liberté, de l’indépendance et du droit d’avoir le choix ? Voilà l’enjeu existentiel auquel est confronté Sasha, un peu comme l’est Steve dans Promised Land. Ce film est également l’histoire d’individus qui font des compromis face à la machinerie du système pour s’en sortir, des personnes qui doutent, changent d’avis, sont portées par leurs idéaux et leurs passions, essaient de faire pour le mieux selon leurs moyens. Mais ici, le protagoniste principal se laisse enfermer dans la spirale du rapport de force et va au bout de sa démarche. Il est entraîné dans ses propres actions et réactions, il forge son destin tout autant que son destin le mène à sa propre logique qui ne reprend jamais l’histoire à la croisée des chemins, là où un choix ou un événement aurait pu faire prendre une autre direction. La fin n’est peut-être pas plus crédible que celle de Promised Land, mais elle a le mérite de ne pas maquiller la réalité sous une épaisse couche de bons sentiments, de la laisser crue, que ce soit dans la déloyauté comme dans la force de l’amour.
Autre qualité du film, qui peut paraître futile mais est primordiale : sa durée. Boris Khiebnikov avait besoin de 77 minutes pour raconter son histoire, il l’a fait en 77 minutes et nous a épargné les longues minutes inutiles qui tirent artificiellement bon nombre de films vers les 100, 110, 120 minutes, pour le plus grand ennui des spectateurs.
Petit bémol tout de même : la caméra à l’épaule est parfois exagérément agitée… ceux qui sont sujet au mal de mer, prévoir une pilule antihistaminique !
Malik Berkati, Berlin
A Long and Happy Life (Dolgaya achastlivaya zhizn), de Boris Khiebnikov, avec Alexander Yatsenko, Anna Kotova, Vladimir Korobeiniko, Russie, 2013, 77 minutes.
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