Au Théâtre de Carouge, Anne Schwaller met en scène Une maison de poupée, d’Henrik Ibsen, un drame petit bourgeois d’une cruelle lucidité sur les relations humaines et sur la condition féminine. Rencontre
Jusqu’au 14 mai 2023, la nouvelle création d’Anne Schwaller, Une maison de poupée, d’Henrik Ibsen, est à découvrir dans la grande salle du Théâtre de Carouge avant de partir en tournée en Suisse romande.
La pièce d’Henrik Ibsen accompagne depuis longtemps la metteure en scène fribourgeoise. La première publication de cette pièce du dramaturge norvégien date de 1879 et pourtant, sa description de la condition féminine reste, à bien des égards, troublante d’actualité.
Une maison de poupée est un véritable brûlot qui, dans le XIXème siècle puritain, défraya la chronique et fut censuré. Comme le souligne Anne Schwaller, Henrik Ibsen dut quitter son pays et la majeure partie de son œuvre fut écrite en exil.
Le destin de Nora, cette femme, épouse et mère, qui lutte pour s’accomplir et se libérer, a toujours fasciné Anne Schwaller qui a choisi la traduction de Régis Boyer pour travailler cette pièce avec ses comédiens.
Mariée à Torvald Helmer, un avocat qui vient d’être nommé directeur de banque, Nora semble heureuse en famille, soutenant son mari lorsqu’il est épuisé par son travail et qu’il doit partir se ressourcer au soleil. Nora le soutient inconditionnellement et s’épanouit dans son rôle de mère de deux enfants. Mais elle porte un lourd secret que l’on vous laissera découvrir sur les planches du Théâtre de Carouge. Un évènement va venir changer le cours des choses et la pousser à faire un choix de liberté très audacieux, voire inconcevable pour l’époque !
Ibsen a toujours bénéficié de l’éclairage de sa femme comme première lectrice. En 1869, John Stuart Mill fait paraître De l’assujettissement des femmes, que Suzannah Ibsen lit et dont elle parle avec insistance à son mari, selon leur fils Sigurd qui a rapporté l’anecdote. Dans cet ouvrage, le philosophe britannique défend la cause de l’émancipation des femmes et demande qu’elles bénéficient, elles aussi, du suffrage. Bref, qu’elles sortent de leur condition de subordination au joug de la gent masculine. Si on connaît la suite de l’histoire en ce qui concerne l’Angleterre et les suffragettes, rappelons qu’à l’époque d’Henrik Ibsen, les femmes issues de la bourgeoisie n’ont aucun accès au monde bancaire ni au monde du travail, à de rares exceptions ! (évidemment, les femmes du monde ouvrier et de la paysannerie travaillent !)
Pour incarner les personnages élaborés par Ibsen, Anne Schwaller a choisi Marie Fontannaz dans le rôle de Nora Helmer et Julien George pour Torvald Helmer. Marie Druc incarne Christine Linde, l’amie de longue date, Jean-Pierre Gos, le Dr. Rank, un riche ami de la famille, secrètement amoureux de Nora et qui est sur le point de mourir. Yves Jenny interprète Nils Krogstad, en tant qu’employé à la banque de Torvald et usurier et Véronique Mermoud, qu’Anne Schwaller a réussi à convaincre de remonter sur scène dans le rôle de la nourrice, Anne-Marie. Aux côtés de ces six comédiens, dans des costumes de Cécile Revaz, Anne Schwaller convoque deux enfants sur scène et pour lesquels elle a écrit quelques répliques.
Assistée à la mise en scène par Frank Arnaudon, Anne Schwaller a travaillé la scénographie par le truchement de vidéos signées par les frères Samuel et Frédéric Guillaume. Les lumières sont assurées par Eloi Gianini et les peintures sont l’œuvre de Noëlle Choquard. Côté musiques, elle a choisi cinq morceaux qui s’intègrent en parfaite symbiose avec le texte, mais a souhaité développer un travail sur le son et sur les silences, telle une partition qui se joue au fil des répliques.
À ce propos, rappelons qu’avant de s’intéresser au théâtre, Anne Schwaller a suivi une formation de pianiste au Conservatoire de Fribourg. Puis, elle a commencé sa formation théâtrale en Belgique, à l’Institut des Arts de Diffusion (IAD), et l’a terminée à Lausanne à La Manufacture, sous la direction d’Yves Beaunesne. Diplômée en 2007, elle rencontre Gisèle Sallin, directrice du Théâtre des Osses, qui l’y accueille : elle y travaillera durant six saisons, activement avec la troupe du Théâtre des Osses, à Givisiez, à la fois sur scène, mais aussi autour de la scène, en s’investissant dans tous les corps de métiers qui forment un théâtre.
Venue présenter Une maison de poupée et converser avec le public intéressé à la Bibliothèque de la Cité, Anne Schwaller s’est confiée sur sa méthode de travail avec ses comédiens, sur la scénographie qu’elle a développée, sur ses divers choix en tant que metteure en scène, mais aussi sur son travail axé sur la pédagogie et la transmission destinées aux élèves des écoles fribourgeoises.
Anne Schwaller, qui succédera à l’été 2023 à Geneviève Pasquier et Nicolas Rossier à la direction du Théâtre des Osses, l’institution fondée par Gisèle Sallin et Véronique Mermoud, nous a aussi confié le souhait d’une reprise « dans la continuité », en conservant l’âme du lieu tout en y instillant un souffle nouveau, en nous annonçant Le Barbier de Séville, entre autres …
Rencontre:
Firouz E. Pillet
© j:mag Tous droits réservés