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Avec Big Little Women, la cinéaste helvético-égyptienne Nadia Fares Antiker signe un délicat hommage à son père tout en retraçant les luttes féministes en Orient et en Occident. Rencontre

Vivant entre la Suisse, l’Égypte et Los Angeles, Nadia Fares Antiker est le fruit de l’amour entre une Suissesse originaire de l’Emmental bernois et d’un Égyptien. Née en 1962, la cinéaste helvético-égyptienne a vu le jour à une époque où les couples appelés mixtes ne coulaient pas forcément des jours heureux malgré les forts sentiments qui les unissaient.

Big Little Women de Nadia Fares Antiker
Image courtoisie First Hand Films

En effet, depuis le début des Trente Glorieuses, la main d’œuvre étrangère est devenue indispensable dans divers secteurs économiques et la Confédération helvétique a ouvert ses frontières pour accueillir cette force ouvrière solide et bon marché. À la même époque émergent des courants xénophobes en Suisse : en 1961, « l’Action nationale contre l’emprise étrangère du peuple et de la patrie » est fondée à Zurich. Le Parti des Démocrates suisses lance en 1965 une initiative pour limiter la population étrangère à dix pour cent mais les ouvriers venus d’Italie, d’Espagne, du Portugal continuent à affluer. Le gouvernement prend de nouvelles mesures pour freiner l’immigration, mais la population étrangère ne cesse d’augmenter. Une deuxième initiative est déposée : l’initiative « Schwarzenbach », du nom de son instigateur James Schwarzenbach, président des Démocrates suisses.

C’est dans ce contexte que la jeune Nadia naît et grandit. En épousant un Égyptien et Africain, sa maman a osé briser un tabou et elle le paiera très cher : son grand-père maternel fera en sorte que son père soit expulsé. Si la mère se retrouve séparée de l’homme qu’elle aime, la fillette se retrouve privée d’un père qui la chérit et qu’elle chérit. Mais la loi du patriarcat domine et applique ses lois, peu importe l’amour !

Nadia Fares Antiker souligne :

« Dans la forme, mon film apparaît comme un hommage à mon père, mais en réalité, j’honore le courage de ces femmes qui luttent pour l’égalité des droits à l’Est comme à l’Ouest. En épousant un Égyptien et un Africain, ma mère a brisé un tabou qui était encore très fort en Suisse dans les années 1950 et 1960. Elle a payé cette transgression lorsque mon grand-père maternel, le patriarche suisse de l’histoire, a conspiré pour faire expulser ce mari indésirable, déchirant mes parents et toute ma famille. »

Dès l’ouverture du documentaire, Nadia Fares Antiker s’adresse à son « Baba », son papa tant aimé dont elle a été brutalement séparée par le diktat du patriarcat et qui sera, tel un fil conducteur, son confident durant tout le film. Au fil des séquences, la cinéaste transforme cet hommage tendre et poétique à son père égyptien en chronique de la situation des femmes en Égypte et en Suisse, explorant les atavismes et les carcans sociaux induits par la tradition patriarcale dans un jeu de miroirs à la fois captivant et troublant entre l’Orient et l’Occident. Entremêlant la quête personnelle et son hommage personnel, Nadia Fares Antiker ausculte et analyse le féminisme en Égypte mais aussi en Suisse à travers la situation de sa maman avec laquelle elle converse devant la caméra en déambulant dans le village familial de l’Emmental.

La documentariste dresse le portrait de trois générations de femmes – Nawal El Saadawi, Nouran Salah, Noha Sobh and Amina Alwahany – qui défendent leurs droits. Ainsi, devant sa caméra apparaissent ces femmes représentant plusieurs générations de combats féministes qui démontrent que les temps changent, mais les combats demeurent et la place de la femme dans la société doit encore être revendiquée, parfois au risque de son intégrité : Big Little Women et la quête menée par la cinéaste nous rappellent les nombreuses femmes sorties manifester sur la Place Tahrir durant le Printemps arabe et qui, par « souci étatique de maintenir l’honneur des Égyptiennes », se faisaient arrêter et emmener au poste de police pour une vérification digitale de leur hymen … Vérification effectuée, bien évidemment, par des hommes !

Big Little Women contient des images rares et émouvantes du dernier entretien de Nawal El Saadawi, médecin psychiatre et célèbre féministe en Égypte et au Moyen-Orient, emprisonné pour ses prises de position, et qui, décédée en 2021, n’a pas pu voir le film de Nadia Fares Antiker mais son héritage demeure.

Avec délicatesse et une poésie qui imprègne tout son documentaire, la cinéaste retrace septante-cinq ans de luttes des femmes en Égypte, pays de son père, et en Suisse, pays de sa mère, deux univers qui la constituent, séparés par la volonté du patriarche maternel, mais réunis ici par la déclaration d’amour de leur fille. Big Little Women souligne combien l’histoire des luttes des femmes est étroitement liée aux changements politiques et sociaux de la nation tout entière.

Accaparée par le montage de son nouveau film et accompagnant la sortie en salles de Big Little Women, Nadia Fares Antiker nous a cordé du temps pour un entretien téléphonique passionnant :

 

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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