Berlinale 2017 – compétition jour #9 : Have A Nice Day (Hao ji le) / Ana, mon amour
Vendredi, dernier jour de la section Compétition / Hors compétition. La remise des Ours aura lieu demain soir. Dans la journée seront remis les prix des jurys indépendants. Concernant cette journée, et pour être honnête, nous n’allons pas parler de Logan – de la franchise des X-Men, car l’auteur de ses lignes n’a pu apprécier que par intermittence les combats aux griffes de Wolverine et la cohorte de morts qui s’ensuivent, épuisé qu’il était, bien installé et calé dans la salle de cinéma la plus confortable du festival (CinemaxX 7). Mais éveillé il est resté, plus tôt dans la journée, pour les deux dernières contributions que devront juger le jury avant de rendre son palmarès.
Have A Nice Day (Hao ji le)
Avec un budget de l’équivalent de 7000 dollars, Liu Jian a conçu un film d’animation de genre oscillant entre la comédie noire et l’histoire de gangsters. Le film demande une certaine acclimatation de l’œil et du cerveau : nous sommes tellement habitués à une animation fluide des corps et objets qu’au premier abord, les scènes de Liu Jian semblent un peu statiques. Il faut dire qu’il est peintre de formation et quand il a décidé de changer de mode d’expression artistique, il s’est naturellement tourné vers ce qu’il nomme « peindre un film. »
Une fois les sens accoutumés, l’esthétique picturale truffée de détails embrasse le récit déjanté d’un jeune homme qui vole un sac remplit d’argent à son patron. Jusque-là rien de bien trépidant, si ce n’est que ce patron est un chef de gang. Dans la petite ville du sud de la Chine, la nouvelle se répand rapidement et la chasse au sac est allègrement ouverte ! Le personnage principal du film est l’argent et son sac dont tout le monde veut s’emparer. Il est pris et emporté par différentes personnes dans différents endroits pendant cette nuit où les gens préfèreront s’entretuer plutôt que de le lâcher. Sans entrer frontalement, c’est-à-dire politiquement ou de manière militante, dans la critique de la société de consommation, le cinéaste nous entraîne dans un monde où l’argent prend le pas sur tous les autres sentiments, les jeunes rêvent de créer une start-up plutôt que faire des études pour devenir rapidement riche comme Zuckerberg, la liberté elle-même est définie par un des protagonistes à travers une métaphore se basant sur les différentes options que l’on a de faire ses courses : (la liberté) du marché, du supermarché et du shopping online, la dernière option n’offrant pas la liberté de marchandage de la première option mais une étendue dans l’offre incomparable. Par ailleurs, une critique de l’urbanisation à outrance au détriment de l’environnement est en filigrane tout au long du récit, à commencer par un extrait de poème de Tolstoï sur l’arrivée du printemps qui ouvre le film.
Les différentes religions et dieux sont évoqués également, puisque même si les protagonistes font corps avec le matérialisme, ils leur reste cette part d’incertitude qui fait que l’être humain raisonne. Mais on ne peut s’empêcher, à écouter les personnages de Liu Jian, de penser que les dieux des grandes religions vont finir par être remplacés par les gourous de la Silicon Valley. D’ailleurs un des protagonistes, tuant celui qui veut lui voler le sac qu’il a lui-même volé assène cette sentence : « sans la haute technologie, nous ne pouvons pas vaincre. »
Le travail de Liu Jian, qui a quasiment tout fait dans ce film puisqu’il en est le réalisateur, scénariste, animateur, directeur de casting pour les voix, producteur exécutif et coproducteur, est d’un grand niveau, avec un récit divertissant à l’humour caustique abordant par la tranche quelques thématiques caractéristiques de nos sociétés actuelles. Un élément primordial est la très grande attention donnée à l’habillage sonore des scènes avec la mise en évidence du son des voitures, des trains, des sonneries de téléphone, des respirations, etc. À ce propos, Liu Jian explique que « dans les films d’animation le son est éminemment important pour accompagner l’histoire. Il nous manque les gestes et mimiques des acteurs, les détails des objets réels. Cela doit être compensé par le son ce qui permet de créer une ambiance et faire avancer l’intrigue. » De plus, la musique du film est celle du célèbre collectif The Shanghai Restoration Project, qui donne un ton – parfois agaçant mais la majeure partie du temps ajustée – à l’histoire. À ceci s’ajoute cet amour du détail qui parsème le film, ces petites choses qui parlent, mine de rien, de l’air du temps (on entend furtivement quelques mots de Trump à la radio ou une allusion au Brexit, par exemple) ou bien, comme le réalisateur l’illustre par le personnage du tueur à gages, pour donner de l’épaisseur au protagoniste : « Je voulais dépeindre ce personnage, lui donner une personnalité. J’ai placé dans son casier au studio de sport une affiche de Rocky. Je voulais montrer qu’il n’était pas seulement un tueur à gages mais quelqu’un qui a des émotions, des passions peut-être aussi. D’ailleurs, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais il porte pendant tout le film son chapeau comme le portait Rocky. » Outre les moyens modestes (c’est ce que l’on peut qualifier de bel euphémisme) dont a disposé le réalisateur qui a mis trois ans pour faire son film, la facture finale est cohérente dans son réalisme et sa simplicité. Il est agréable de se laisser glisser dans l’univers vériste néanmoins empreint de mélancolie de Liu Jian, espérons que les spectateurs tenteront le voyage malgré l’esthétique minimaliste dont on a un peu perdu l’habitude.
De Liu Jian ; République populaire de Chine ; 2017 ; 77 minutes.
Ana, mon amour
Le réalisateur roumain Călin Peter Netzer, habitué des grands festivals et des récompenses – il avait reçu l’Ours d’or en 2013 pour Child’s Pose (titre français : Mère et Fils), revient à Berlin avec un film de plus de deux heures sur l’histoire d’amour d’un jeune couple que l’on suit sur plusieurs années et dont la relation est basée sur la dépendance à l’autre.
Lorsque l’on dit, « un couple que l’on suit », ce n’est, en réalité, pas faire honneur à une des choses les plus abouties de ce film : avoir réussi à raconter cette histoire sans infliger une narration linéaire ou son pendant classique, des flashbacks. La structure du film est très intelligente – et s’il fallait vraiment donner un Ours à ce film, espérons que cela soit celui de la meilleure contribution technique, avec ici le travail de montage – puisque l’on suit à travers les séances de psychothérapie de Toma son point de vue sur cette histoire qu’il a vécu avec Ana. Comme toute analyse, les éléments s’enchaînent de manière disruptive sans considération chronologique, de lieux ou même de réalité puisque les rêves y sont aussi évoqués. Sans jamais gêner la compréhension, les périodes étant marquées par les changements de coiffures, de résidence, etc., cette structure évite l’écueil de la simplification des sentiments éprouvés par les protagonistes et permet de faire évoluer la dramaturgie dans un sens qui n’est pas forcément celui auquel on aurait pensé en entrant dans l’histoire. Petit à petit, le vrai sens de la dépendance se dévoile.
Mais ce « petit à petit » n’est pas anodin et recèle quelques faiblesses dans le scénario, trop répétitif, trop long et qui effleure quelques thématiques annexes contemporaines des sociétés issues du post-communisme, comme la religion très présente dans la vie des protagonistes mais dont on a de la peine à définir l’aspect sociétal, ou l’éventuel reflet du problème des traumatismes vécus du temps du régime totalitaire qui n’ont pas été réellement travaillés par la société, à l’instar des traumatismes refoulés au fin fond des secrets de famille.
Ana et Toma se rencontrent pendant leurs études universitaires et tombent amoureux. Ana souffre de crise de panique et est légèrement névrosée. Toma lui offre un soutien sans faille dans tous les moments de leur vie et de ses crises, il affronte ses parents qui ne veulent pas qu’il se lie à Ana, quand elle tombe enceinte, il décide de devenir père, il s’occupe d’elle et de l’enfant de manière totalement dévouée. Il semble être le pilier de cette relation, pilier qui va chanceler lorsqu’Ana commencera une analyse et à s’adapter au monde qui l’entoure.
C’est à ce moment que nous sommes embarqués dans sa tentative de comprendre comment il en est arrivé à ce point de sa vie et quels sont les réels leviers de sa relation avec Ana.
De Călin Peter Netzer ; avec Mircea Postelnicu, Diana Cavallioti, Carmen Tănase, Vasile Muraru, Tania Popa, Igor Caras Romanov, Adrian Titieni, Vlad Ivanov ; Roumanie, Allemagne, France ; 2016 ; 127 minutes.
Malik Berkati, Berlin
© j:mag Tous droits réservés
Ping : Berlinale 2017 – Quote of the Day jour #9: Sir Patrick Stewart | j:mag
Ping : Palmarès 67è Berlinale: de la dignité à la poésie en passant par la résistance! | j:mag
Ping : 12ème édition du festival international du film d’animation Animatou de Genève – J:MAG