Berlinale 2017 – Panorama: The Wound
La prestigieuse section Panorama de la Berlinale, dont bon nombre de films feraient excellente figure dans la Compétition, ouvre sa programmation avec un film sud-africain qui fait la peau aux clichés sur la masculinité de l’homme noir, clichés qui se perpétuent tant dans la culture africaine elle-même que dans la vision extérieure que l’on a de l’Afrique.
Cette peau, c’est celle de la circoncision rituelle effectuée chez le peuple Xhosa – le Ukwaluka. Cette tradition consiste à envoyer dans la montagne de jeunes hommes, les initiés, dans des camps où ils vont vivre reclus sous la garde de leurs initiateurs qui les soignent et les guident dans leur initiation à l’âge adulte et à une hyper-masculinité revendiquée dans une structure patriarcale. Cette initiation, de plus en plus décriée car elle est dangereuse du point de vue de la santé et a de moins en moins de pertinence dans la société actuelle, est secrète ; les hommes Xhosa n’ont pas le droit d’en parler. Une des rares personnes à avoir brisé ce tabou n’est autre que Nelson Mandela dans un récit autobiographique intitulé Un long chemin vers la liberté.
Ici, les choses commencent normalement : une excellente scène d’autant bien faite que l’on ne voit rien de la circoncision rituelle mais on ressent indirectement, avec une acuité quasi insoutenable à travers la répétition sur chaque adolescent, l’entaille à l’emporte-pièce du couteau. Très vite, on se rend compte que quelque chose est différencié dans le groupe : Xolani, un ouvrier solitaire doit initier non pas un groupe de jeunes mais un seul adolescent, Kwanda, qui vient de la ville et questionne le sens du rituel. Le drame qui va se jouer n’est pas tant dans la volonté d’émancipation de Kwanda, de son affirmation et acceptation de soi, caractéristiques représentant les habitants de la ville face aux autres jeunes de la campagne, mais dans la révélation du secret de Xolani, sa difficulté à le vivre et sa peur autant que son amour pour son ami d’enfance, Vija, un initiateur viril, respecté et dominant.
Au fil de la lame implacable des non-dits qui mutile les âmes, l’initié initie l’initiateur à l’accord entre son identité et son corps, au respect de sa personne au-delà du paraître face aux autres. Cependant les résistances sont multiples et ne viennent pas toutes de la pression du groupe. L’intelligence de ce film est de repousser les clichés mais sans décompliquer les relations au sein des communautés et entre les individus, ainsi que les luttes personnelles des trois principaux protagonistes avec eux-mêmes. Il n’y a pas de jugements de valeurs univoques, il n’y a pas de réponses claires aux questions posées par la tragédie qui se joue à l’écart du monde car tout le monde fait partie du problème, Kwanda inclus qui lui aussi tente d’imposer sa conception du monde.
On ne devient jamais ce que les autres veulent que l’on soit – d’ailleurs, la plupart du temps, tout le monde sait, mais tant que les choses ne sont pas dites, comme par magie, elles n’existent pas. Le savoir est une chose, accepter de devenir ce que l’on est reste toujours un acte dangereux et subversif pour la communauté autant que pour soi-même. Et ceci ne vaut assurément pas qu’en Afrique…
De John Trengove; avec Nakhane Touré, Bongile Mantsai, Niza Jay Ncoyini, Thobani Mseleni; Afrique du Sud, Allemagne, Pays-Bas, France; 2016; 88 minutes.
Malik Berkati, Berlin
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