Berlinale 2020 – Encounters: Los conductos de Camilo Restrepo
Avec l’arrivée de Carlo Chatrian à la direction artistique de l’événement, la Berlinale propose depuis cette année une nouvelle section compétitive intitulée Encounters. Le film de Camilo Restrepo fait partie de cette sélection.
Librement inspiré d’une histoire vraie, Los conductos est, selon les mots de Carlo Chatrian,
un film aussi visionnaire, physique et élastique que le celluloïd 16 mm sur lequel il a été tourné .
Los conductos entraîne les spectateurs à Medellin, en Colombie. Le protagoniste, Pinky, est en fuite; il vient de se libérer de l’emprise d’une secte religieuse. Dès la séquence d’ouverture, Camilo Restrepo plonge les spectateurs dans une fuite effrénée en pleine nuit : gros plan sur le réservoir d’une grosse cylindrée, embrayage, casque et visière baissée, le motard que l’on suit fonce à toute vitesse dans la nuit. Pinky trouve un endroit à squatter pour s’abriter et un travail dans une usine de T-shirts. Trompé par sa propre foi, il remet tout en question et tente tant bien que mal de récupérer sa vie, bien que les fantômes de son passé soient toujours à l’affût.
Après quatorze minutes dans l’obscurité, on découvre enfin le visage du protagoniste (Luis Felipe Lozano), aux airs christiques, le visage émacié encadré par une barbe et des cheveux longs, portant un casque d’écoute et regardant un défilé militaire sur un écran. Recourant à un kaléidoscope visuel, le film dépeint les difficultés de réinsertion dans la Colombie après le conflit civil. A travers le chemin chaotique de Pinky, Los conductos propose une allégorie de l’errance et de la dévastation émotionnelles des personnes victimes de mouvements sectaires dominés par l’endoctrinement et le fanatisme.
La bande-son anxiogène alterne entre méchanismes des machines d’usine, le moteur de la moto qui pétarade, les portes qui claquent mais à la cinquantième minute, Pinky se lave dans un ruisseau en pleine forêt où retentissent les gazouillis des oiseaux accompagnement le bruissement de l’eau qui coule. Le répit est de courte durée et on trouve Pinky, accompagné d’un nouvel ami, Desquite (Fernando Úsaga Higuíta) traçant à toute vitesse de nuit dans les rues d’une ville, le tout sur une musique hard-rock et des citations bibliques sur le diable et l’enfer.
Le réalisateur s’est lié d’amitié avec Pinky et l’a convaincu de jouer lui-même son propre rôle dans le film. Est-ce pour cela que la plongée dans cet univers noir, désespéré, destructeur nous ébranle fortement alors que Pinky prend de la drogue, ou effectue un travail routinier tel un automate en marquant des T-shirts dans une usine.
Plus il se confie sur la secte et son maître spirituel, plus le cours à la violence est tangible psychologiquement. Même s’il s’est échappé de la « communauté », Pinky reste assailli par des cauchemars du passé et des visions apocalyptiques. Ainsi, plus il tente de reconstituer les morceaux de sa vie brisée, plus des souvenirs violents reviennent le hanter et demander vengeance.
Né en 1975 à Medellín en Colombie, Camilo Restrepo vit et travaille à Paris. Ses films ont été sélectionnés dans des festivals comme la Quinzaine des réalisateurs de Cannes, au Toronto IFF ou New York IFF. Il a remporté le Pardino d’Argento au Locarno IFF à deux reprises.
Dans le cadre du concours Work in Progress, les jurés (Chiara Marañon, Nico Marzano et Hernán Musaluppi) ont décerné le meilleur projet à Los conductos lors de la 34ème édition du Festival international du film de Mar del Plata qui s’est déroulée du 9 au 18 novembre 2019. Le jury a souligné
sa vision personnelle du monde, qui a une dimension esthétique, politique et humaine» et «sa propre langue cinématographique.
Un film noir, à l’atmosphère lourde et oppressante, qui ne laisse pas les sectateurs sortir indemnes de la projection !
De Camilo Restrepo; avec Luis Felipe Lozano, Fernando Úsaga Higuíta France; Colombie, Brésil; 2020; 70 minutes
Firouz E. Pillet
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