Berlinale 2021 – Compétition: Rengeteg – mindenhol látlak (Forest – I See You Everywhere) ou l’effet magnétisant du voyeurisme de micro-drames
Dix-huit ans après son premier long métrage Forest (Rengeteg, 2003), le réalisateur hongrois Bence Fliegauf poursuit dans la même veine son expérience anthropologique qui creuse le microréalisme, à l’époque avec une série de vignettes sur des couples en crise. Le film n’atteint pas le niveau de son poignant Csak a szél (Just The Wind), sur le sort cauchemardesque de la communauté Rom en Hongrie, qui avait remporté en 2012 l’Ours d’argent – Grand Prix du Jury, mais a cette qualité d’intriguer tout en portant dans son sillage une impression de déjà éprouvé.
Avec Forest – I See You Everywhere, on entre dans une dimension conflictuelle qui va au-delà du couple au sens strict, mais plutôt entre deux individus, au maximum trois, liés par un quotidien commun avec pour point de friction une personne qui n’est pas présente. Le film débute sur une courte scène qu’il faut rapidement attraper au passage – une jeune fille qui trouve son grand-père endormi dans son fauteuil – puis on passe directement sur le premier conflit qui implique une autre jeune fille – interprétée par Lilla Kizlinger, qui a remporté l’Ours d’argent du meilleur second rôle – avec son père auquel elle reproche la mort de sa mère à travers la répétition d’un travail de classe qu’elle doit présenter le lendemain à l’école.
Pour celles et ceux qui n’ont pas vu Forest, cet étrange univers est fascinant avec cette caméra au plus près des visages, ces joutes verbales entre des individus cortiqués qui ne manquent jamais d’arguments, comme cet ado que la mère, très religieuse, dispute car il jouerait à des jeux (de rôles) qui le mèneraient directement vers Satan, ce à quoi il répond que pour lui Dieu pourrait bien être Gandalf, ce qui ne serait pas plus absurde que celui qu’elle vénère. On s’immerge dans ces disputes, très justement jouées, certaines peut-être résonnent en nous, et dans un effet de transe, quand on ne comprend pas le langage, on se laisse hypnotiser par le rythme, les intonations, la beauté et harmonie de la langue hongroise. On s’étonne d’entrer dans ces histoires à priori banales mais dont l’intensité monte crescendo pour que l’attention ne baisse jamais sa garde.
Les sept saynètes, qui n’ont aucun lien entre elles, si ce n’est les sentiments récurrents de colère, de deuil, d’amour, impliquent également un couple qui se dispute au sujet de l’ex de l’homme qui s’inquiète car elle semble avoir disparue. Un couple ne peut pas avoir d’enfants et se disputes sur la manière de pallier cette impossibilité dans une atmosphère qui n’exclue pas la limite de la maladie mentale. Deux personnes convoquent un homme qui a eu une relation avec une de leurs amies, décédée ; il s’avère que cet homme est un tueur à gages qu’ils tentent de persuader d’éliminer un soi-disant guérisseur qu’ils estiment responsable de nombreux drames. La scène la plus étrange reste cependant celle entre un père et son fils avec la belle-mère du fils au milieu, si on ose l’exprimer ainsi…
À la fin du film, on se retrouve dans la maison du grand-père et quand la petite-fille ouvre la porte-fenêtre et les rideaux avec une lumière qui inonde l’écran, on réalise que pendant tout le film, il faisait nuit et que l’on était presque tout le temps à l’intérieur. Les fins de toutes les saynètes sont ouvertes et laissent l’imagination poursuivre le fil des choses selon ses propres déterminants, mais une chose frappe dans la dernière scène, comme un miroir tendu à la psychée collective de ses temps exceptionnels de pandémie : on étouffe, on est confinés, enfermés, désespérés pour certain.es, mais au bout du chemin, la lumière !
De Bence Fliegauf ; avec Juli Jakab, Lázló Cziffer, Lilla Kizlinger, Zsolt Végh, István Lénárt, Eszter Balla, Natasa Kovalik, Ági Gubik, Mihály Vig, Felicián Keresztes, Eliza Sodró, Terence Gábor Gelencsér, János Fliegauf, Péter Fancsikai, Zoltán Pintér, Laura Podlovics ; Hongrie; 2020; 112 minutes.
Malik Berkati
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