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Berlinale 2022 –  Forum : Geographies of Solitude, de Jacquelyn Mills, invite à une incroyable aventure sur l’Ile de Sable, en Nouvelle-Écosse, aux côtés de la naturaliste et écologiste Zoe Lucas

Le premier long métrage de la documentariste canadienne Jacquelyn Mills, Geographies of Solitude, entraîne le public dans la rudesse de la nature de l’Ile de Sable, balayée par les vents. Les roulis de la mer, emplis d’écume, viennent mourir sur une plage de sable. Un envol d’oiseaux se distingue dans la nuit où scintillent de nombreuses étoiles et la lune, se dessinant toutes très distinctement dans le ciel obscur. Puis, la tête majestueuse d’un cheval voit sa crinière voleter dans la brise.

Geographies of Solitude de Jacquelyn Mills
© Jacquelyn Mills

Jacquelyn Mills a effectué un travail considérable méticuleux sur les sons, synonyme de vie sur cette île qui semble déserte. Avec acuité, on perçoit le bruissement des flocons de neige qui tombent sur Zoé en train de marcher, les hénissements des chevaux, les roulis réguliers de la mer, les battements d’ailes des nuées d’oiseaux, les grognements et les rugissements des phoques dont les têtes surgissent des flots et les innombrables carillons à vent qui sont suspendus à la porte et aux fenêtres de la maison, en bois, de Zoe.

Geographies of Solitude (Géographies de la solitude) invite les spectateurs à une immersion bucolique et intense dans l’incroyable écosystème de l’Ile de Sable, en Nouvelle-Écosse, et dans la vie de Zoe Lucas, une naturaliste et écologiste qui vit depuis plus de quarante ans sur cette bande de terre isolée.

Les deux femmes – la naturaliste et écologiste aux côtés de la documentariste – évoluent sur une île déserte au large de la Nouvelle-Écosse : l’île de Sable, une île dont on ignorerait presque l’existence sans le film de Jacquelyn Mills. Zoe Lucas est arrivée sur cette île désolée pour la première fois en tant qu’étudiante en art dans les années 1970 et a vécu la plupart du temps seule sur l’île pendant des décennies. La réalisatrice Jacquelyn Mills la filme tous les deux dans ses observations quotidiennes ainsi que les annotations assidues de Zoe de la faune et de la flore. Scientifique autodidacte, ses études sur la population de chevaux sauvages pour laquelle l’île est connue et sur la biodiversité si spécifique de l’île de Sable en ont fait une experte reconnue et sollicitée. La collecte de quantités inquiétantes de déchets plastiques ponctue aussi, malheureusement, la vie quotidienne de la naturaliste et écologiste et rappelle les terribles conséquences de l’activité humaine sur la nature.

Jacquelyn Mills tourne en 16 mm et ce support, judicieusement choisi, confère une beauté particulière au paysage aride. La science et l’art se mêlent avec harmonie et se confondent dans les activités des deux femmes. Zoe Lucas n’a de cesse de collecter, de répertorier et de comparer les insectes et leurs mouvements : une abeille qui butine, une chenille qui se tortille sur une feuille, un escargot qui glisse sur la mousse, une fourmi qui escalade une plante enrobée de rosée mais aussi les crottins des équidés, cherchant les graines qui donnent une indication sur l’évolution de la biodiversité. En effet, au fil des ans, le fumier de cheval fournit à Zoe Lucas des données instructives. Jacquelyn Mills l’expérimente, avec des algues et d’autres plantes dans l’exposition et le développement du film. Quelques films d’archives de Zoe Lucas ponctuent ses réflexions et ses constats alarmants.

Des images d’archives montre Zoe Lucas dans sa jeunesse en train de converser avec le Commandant Cousteau, lui expliquant qu’elle tente « d’éviter une trop rapide érosion de la plage pour en préserver les plantes endémiques ». Mais, au fil des décennies, Zoe Lucas constate tristement la disparition de plusieurs plantes.

— Zoe Lucas dans sa jeunesse – Geographies of Solitude
© Jacquelyn Mills

Depuis vingt-deux ans, un autre constat de Zoe Lucas sur des cadavres d’animaux qu’elle ausculte est sans appel : la majorité avaient l’estomac empli de plastiques dont « la quantité augmente de manière dramatique. » Zoe Lucas ramasse inlassablement, nettoie mais donne aussi des conférences sur le continent pour sensibiliser l’humanité en espérant que son cri d’alarme soit entendu et lance :

« Il faut que les gens réagissent vite ! »

Zoe s’étonne que Jacquelyn entame son dernier rouleau de film qui sonne le glas de leur expérience en binôme mais soude à jamais cette extraordinaire rencontre entre deux êtres, l’une mue par sa passion pour cette île et ses habitants – faune et flore – et l’autre, passionnée de faire part sur grand écran de cette aventure dans ce lieu magique.

Sur la genèse de ce documentaire, Jacquelyn Mills précise :

« Ce film a commencé quand j’avais quatre ans, en regardant les informations avec ma grand-mère. Il y avait l’histoire d’une femme qui vivait sur une île isolée de l’Atlantique Nord-Ouest. L’île de Sable a été décrite comme une bande de sable en forme de croissant, abritant des phoques, des chevaux sauvages et les carcasses laissés par des naufragés. »

Cette légende a habité la documentariste pendant trente ans.

Au fil de ses trois voyages, Jacquelyn Mills ne peut que se rendre à l’évidence : l’ile porte si bien son nom car le sable se faufile dans chaque interstice d’équipement, porté par les vents violents qui sévissent dans la région. Mais cette île ne rebute pas tous les êtres vivants : des milliers de phoques jonchent la plage.

Jacquelyn Mills saisit des moments uniques de la symbiose entre la faune et cette nature a priori hostile, des instants de grâce. Il faut souligner qu’elle est guidée par un guide d’exception, Zoé, à travers cet endroit unique où les animaux endurent un climat extrême. Les cycles de vie sont uniquement visibles au travers de ces corps qui se fondent imperceptiblement dans la terre; la naissance se produit souvent à portée de la mort. Cette île unique, insolite, amène la documentariste à la voir comme « un sanctuaire sauvage, avec son gardien qui a consacré plus de quarante ans à étudier et soigner ses moindres détails ».

Cette apparente sérénité qui ferait croire au paradis sur terre est menacée, envahie car des déchets marins de toutes tailles qui s’échouent constamment sur les rives de l’île de Sable mais aussi des débris plastiques de plus en plus nombreux. Avec diligence, méticulosité, attention et assiduité, Zoe collecte, ramasse, nettoie, trie et catalogue ses découvertes dans son étude à long terme des tendances de la pollution dans l’Atlantique Nord-Ouest.

Une tendance révélée par le documentaire de Jacquelyn Mills mais qui se généralise à travers les océans et les mers de notre planète. Choquée par les découvertes de Zoe Lucas, Jacquelyn Mills a voulu montrer cinématographiquement la « fragilité de notre environnement. »

Quelques précisions sur ce documentaire :

L’île de Sable (Sable Island) est un banc de sable dans l’océan Atlantique Nord-Ouest à plus de cent kilomètres de la Nouvelle-Ecosse (Nova Scotia).Malgré son éloignement de la « civilisation », le documentaire de Jacquelyn Mills démontre combien cette île est victime de l’inquiétante pollution issue de l’activité humaine

La cinéaste Jacquelyn Mills est née en 1984 à Sydney, en Nouvelle-Écosse, au Canada. Elle a étudié le cinéma et travaille comme réalisatrice, caméraman, monteuse et sound designer. Après le moyen métrage In the Waves (Les vague) (2017), Géographies de la solitude est son premier long métrage.

L’expérience de Jacquelyn Mills sur l’Ile de Sable aux côtés de Zoe Lucas l’a amenée à conscientiser son travail, une méthode plus respectueuse de l’environnement qu’elle a peaufinée lors de ses résidences en Finlande, en

« traitant le film à la main dans les plantes, film en exposant au clair de lune et à la lumière des étoiles, peignant e film avec émulsion non toxique, et une litière marine épissée et de la matière organique pour filmer. Mes explorations se sont étendues au domaine du son. De tous les éléments que j’ai vécus au cours de ce voyage, c’étaient les sons de l’île de Sable qui me hantait le plus. En utilisant du fait maison, microphones de contact non toxiques, hydrophones sous-marins et des électrodes qui traduisent les fréquences des matières organiques aux motifs musicaux, j’ai créé un paysage sonore presque entièrement enregistré avec et dans l’île. »

À notre époque où la crise environnementale ne fait nul doute, sauf pour les lobbys industriels et pour certains politiciens, et où une prise de conscience, suivie d’actes, n’a jamais été aussi urgente, le cinéma peut engendrer une mobilisation mondiale et mettre un frein à la frénésie d’exploitation des ressources afin d’entamer un processus de sauvegarde de la nature, de la faune et de la flore sur terre, dans les océans et dans les airs.

Geographies of Solitude, un documentaire qui s’impose comme un vibrant plaidoyer.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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