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Bisons, de Pierre Monnard, ou de la terrible condition des paysans dans la société contemporaine. Rencontre

Quatre ans après Les enfants du Platzspitz (Platzspitzbaby), le cinéaste fribourgeois Pierre Monnard revient avec un troisième long métrage, Bisons, qui suit un jeune paysan champion de lutte suisse, entraîné par son frère sur des chemins de traverse.

Bisons de Pierre Monnard
© 2023 Studio Edouard Curchod

Jeune éleveur de bovins, Steve Chappuis (Maxime Valvini) occupe l’essentiel de son temps entre les travaux de la ferme qu’exploite sa mère Mathilde (Marie Berto) et la lutte traditionnelle qu’il pratique assidûment dans l’espoir de décrocher un jour une couronne à la Fête fédérale. Dans ce coin de campagne du Jura-Nord vaudois où les frimas de l’hiver accentuent l’impression de paupérisation croissante, mère et fils traversent une période compliquée mais restent solidaires. Depuis la mort récente de François, le chef de famille, les dettes s’accumulent et mettent en danger la pérennité de l’exploitation. Concentré sur sa passion, Steve préfère ignorer les difficultés, sans même remarquer que sa mère est en train de glisser sur la pente de la dépression. Tôt le matin, Steve part s’entraîner et, muni de sa lampe frontale, avale les kilomètres en courant sur les chemins de campagne enneigés. Après s’être occupé de son troupeau, Steve rejoint la halle dans laquelle les lutteurs de la région s’entraînent.

Filmant au plus près des corps les lutteurs, Pierre Monnard met en relief les valeurs de respect et de fraternité qui unissent les lutteurs : on voit ainsi le vainqueur nettoyer l’épaule du vaincu en enlevant la sciure. Le cinéaste n’a jamais pratiqué la lutte, mais, jeune, a eu de nombreux amis qui la pratiquaient et se rendait chaque année à la fête du Lac-des-joncs. C’est certainement cette connaissance de la pratique de la lutte et de la philosophie inhérente à ce sport qui l’amènent à si bien filmer les entraînements comme les combats de Steve et de ses comparses.

Le retour à la ferme du fils aîné Joël (Karim Barras), tout juste libéré de prison, remet un peu de baume au cœur à la mère de famille qui l’accueille comme le fils prodigue. Mais alors qu’elle y voit une régénération du tissu familial, Steve fait preuve d’une hostilité silencieuse à l’égard de ce frère envers qui il nourrit du ressentiment. C’est pourtant Joël, animé d’une volonté de rédemption, qui ouvre les yeux de son cadet sur la situation de l’élevage et lui propose une solution : s’engager dans des combats clandestins en France voisine afin de se procurer la somme nécessaire à l’obtention d’un prêt de la banque. Steve refuse catégoriquement. Puis le jeune homme révise sa position quand Mathilde, devenue ouvrière dans une fabrique, est victime d’un burnout soudain. Lorsque des huissiers entament un inventaire de la ferme en vue d’une saisie éventuelle après décision de justice, Steve se retrouve au pied du mur et se résout à suivre Joël sur la voie de l’illégalité. Prêt désormais à vendre son âme au diable, il se met à combattre les déshérités des territoires oubliés de la République. Progressivement, il devient méconnaissable et trahit la confiance de Maurice, son entraîneur de lutte traditionnelle et mentor.

On soulignera l’excellent jeu de Maxime Valvini qui fait ses débuts comme acteur, mais qui transmet authenticité et crédibilité pour incarner l’errance progressive de Steve qui veut gagner un maximum de combats illégaux, quitte à voir dans les yeux de Lena Humbert (India Hair), la jeune vétérinaire pour laquelle il éprouve des sentiments, naître une forme de consternation, voire de répulsion. Dirigeant parfaitement sa troupe, le cinéaste parvient à filmer de manière esthétique les combats clandestins autrement plus brutaux que les rencontres de lutte traditionnelle mais réussit à nous ménager en nous épargnant toute vision sanguinolente. Certes, ces combats se révèlent, violents, brutaux, dangereux, mais Pierre Monnard trouvera la parade à cette violence intrinsèque à ces combats en nous entraînant jusqu’à Marseille pour y assister à un combat filmé de manière très poétique, presque chorégraphique.

À travers le microcosme d’une exploitation familiale, Pierre Monnard décrit le difficile combat des agriculteurs broyés par les règles qu’impose l’industrie agroalimentaire, ce qui est indubitablement le point fort du film. Illustrant les tentatives de survie que chaque personnage adopte, le cinéaste offre une fresque d’un monde rural qu’il connaît bien pour y avoir grandi, un monde rural dont tout le monde connaît les difficultés et la souffrance sans que rien ne change pour les paysans. Depuis l’entretien que nous a accordé Pierre Monnard, la révolte du monde paysan gronde en France mais aussi en Suisse et Bisons acquiert une dimension supplémentaire au regard de l’actualité.

Rencontre avec Pierre Monnard qui, lors de l’entretien, ne savait pas encore que Bisons obtiendrait six nominations dans la course aux Prix du cinéma suisse.

 

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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