Cannes 2018 : Hirokazu Kore-eda revient sur la Croisette avec Une affaire de famille (Manbiki Kazoku), en sélection officielle, une histoire à la fois lumineuse et triste autour de sa thématique de prédilection
Hirokazu Kore-Eda est un habitué de la Croisette puisque sept de ses films ont été sélectionnés au Festival de Cannes : Distance en 2001 (en compétition officielle), Nobody Knows en 2004 (en compétition officielle), Air Doll en 2009 (dans la section Un certain regard), Tel père, tel fils en 2013 (en compétition officielle), Notre petite sœur en 2015 (en compétition officielle), Après la tempête en 2016 (à Un certain regard) et Shoplifters en 2018 (en compétition officielle).
Remarqué pour son approche novatrice, non spectaculaire et qui s’apparente quasiment au documentaire, Hirokazu Kore-eda propose un cinéma de fiction qui apporte une dimension sociologique et anthropologique sur la société japonaise. Le cinéaste nippon poursuit son exploration de thèmes familiers telles les relations familiales : ici, il est question de filiation, de la famille que l’on a par naissance et celle que l’on choisit. Comme à son habitude, Hirokazu Kore-eda dépeint par touches délicates et subtiles ses personnages, avec une sobriété dans le dispositif et authenticité des moindres éléments.
Osamu et sa femme Nobuyo ne peuvent plus se permettre de faire l’amour. D’âge moyen étaux emplois très modestes, le couple Shibata s’entasse dans un appartement délabré à la périphérie de Tokyo, avec un fils pré-adolescent nommé Shota (Jyo Kairi), la sœur cadette de Nobuyo (Matsuoka Mayu) et la frêle grand-mère dont la pension empêche la niveau de vie de la la famille de s’effondrer. La masure moisie peut difficilement abriter toute la vie qui y est enfouie: des boîtes aléatoires et de vieux jouets sont éparpillés dans tous les sens, comme si tout le monde préférerait vivre dans le désordre qu’ils ont fait que d’oser se souvenir de toutes les choses qu’ils ont perdues.
Au tout début du film, alors que père et fils usent de stratagèmes orchestrés et facétieux pour voler dans les supermarchés pour manger à leur faim, en rentrant, ils découvrent une petite fille assise seule sur son balcon dans le froid et battue par ses parents, et la ramènent à la maison. La famille l’adopte illégalement. D’abord réticente à l’idée d’abriter l’enfant pour la nuit, la femme d’Osamu accepte de s’occuper d’elle lorsqu‘elle comprend que ses parents la maltraitent. En dépit de leur pauvreté, survivant de petites rapines qui complètent leurs maigres salaires, les membres de cette famille semblent vivre heureux.
La maisonnée continue à vivre, comme si de rien n’était, alors que les journaux télévisés parlent de la disparition de la petite fille dans les médias. Kore-Eda dépeint un Japon méconnu, bien éloigné des quartiers riches aux enseignes lumineuses et à l’abondance, un Japon pauvre et oublié, mais, à travers cette famille, les spectateurs comprennent que cette famille s’aime. Nous entraînant hors des sentiers battus des grandes mégalopoles, Une histoire de famille brosse une chronique familiale touchante et sincère, sans larmoiement ni misérabilisme social malgré la condition matérielle précaire dans laquelle vivent ses personnages. La caméra de Kore-eda suit , sans voyeurisme, les repas en famille, les brèves disputes, les éclats de de rires autour d’une table ou sur le tapis du salon où la promiscuité est de mise, une journées à la plage où la nouvelle petit fille de la famille apprend à sauter.
Lorsque le petit garçon, Shota, s’enfuit, on découvre qu’il n’est pas le fils biologique du dit « père » de la famille : il n’ose pas l’appeler « Papa ». Cette famille est construire de toutes pièces, mais elle s’est choisie et fonctionne parfaitement.
Durant la deuxième partie du film, qui remettra en cause l’existence même de cette famille à cause d’une enquête judiciaire, Kore-Eda pose un regard acerbe sur la société japonaise et ses failles. La portée universelle du film transmet un message qui parle à tous : la famille est celle qu’on se choisit, vivier de vraies émotions et de sentiments sincères, et non celle attribuée par la vie. Chez les Shibata, on s’aime et trouve d’autres moyens d’exprimer les liens qui existe entre eux, même si ils ne sont pas biologiques. “Nous sommes connectés par nos cœurs”, dit Osamu avec son sourire espiègle, en riant, validant ainsi les liens qui les unissent. Force est de constater qu’il n’a pas tort.
Encore fois, Hirokazu Kore-eda pose un regard aimant et bienveillant sur ces personnages, quelques soient leurs parts d’ombre ou leurs failles, et les rend aimables et touchants à l’écran. Un grand moment de poésie où les moments simples sont emplis de tendresse et de bonheur malgré le contexte difficile.
Firouz E. Pillet, Cannes
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