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Cannes 2018 : « Mon tissu préféré », premier long métrage de Gaya Jiji, sème le trouble entre amours fantasmées et réalité politique de la Syrie à la veille de la guerre

Damas, mars 2011. Nahla est une jeune femme célibataire qui mène une vie morne dans une banlieue de la capitale syrienne, aux côtés de sa mère, dépressive depuis que son mari l’a quittée, et  ses deux sœurs, Myriam et Line. Elle passe ses journées comme vendeuse dans une échoppe d’habits où sa collègue et amie la pousse à se marier pour partir à l’étranger. Le jour où on lui présente Samir, un expatrié Syrien en provenance des États-Unis à la recherche d’une épouse, « du pays »,  elle rêve d’une vie meilleure. Mais tout ne se passe pas comme prévu. Contre toute attente, il décide de se marier à sa cadette, Myriam.

Dès lors, Nahla se rapproche de Mme Jiji, une voisine récemment installée dans l’immeuble et qui l’intrigue. Sous des prétextes fallacieux, Nahla va de plus en plus souvent rendre visite à Madame Jiji et découvre qu’elle dirige une maison-close deux étages plus haut. Alors que les tensions s’intensifient dans le pays et que la famille est occupée à l’organisation du mariage de sa sœur, Nahla va explorer le monde de Mme Jiji en lui louant une chambre. Un lieu rempli de fantasmes où elle sera confrontée à ses propres peurs et désirs parfois refoulés, parfois assumés.

— Manal Issa – Mon tissu préféré
Image courtoisie Festival de Cannes

Mon tissu préféré est le premier long-métrage de la cinéaste syrienne Gaya Jiji, qui fait preuve d’une excellente maîtrise de la direction d’acteurs, d’une mise en scène à la technique parfaite, d’une belle photographie. Malheureusement, son scénario, qui alterne scènes d’amour fantasmées par la protagoniste et routine quotidienne, ponctuée par des nouvelles radiophoniques ou même des scènes d’émeutes réprimées par les forces de l’ordre, filmées sur des téléphones portables, semble vouloir flirter avec divers registres mais ne parvient qu’à semer la confusion, toujours plus croissante à mesure que le récit avance, dans l’esprit des spectateurs. Mêlant images d’actualité de l’époque et fiction centrée sur les rêves et les tourments de sa principale protagoniste, le film explore par paliers la découverte de l’intimité et les prémisses d’un séisme politique. Depuis sa chambre louée chez Madame Jiji, Nahal se retrouve derrière la vitre teintée par laquelle elle peut observer les ébats des clients sans être vue, y compris quand il s’agit de son amant … Mais a-t-elle réellement un amant ? Le scénario de Gaya Jiji fluctue avec les ambiguïtés, les faux semblants et les apparences; Nahal observe, frappe contre la vitre sans être ni entendue ni vue, à l’instar de ses concitoyens qui manifestent dans les rues de plusieurs villes syriennes sans que leurs doléances ne soient entendues par le gouvernement de Bachar el-Assad. La métaphore servie par le jeu magistral de l’actrice Manal Issa, est osée mais forte : Nahal se retrouve être le miroir de la situation de son pays, frappant de colère, criant, se manifestant sans que sa voix ne soit entendue. Les actrices – Manal Issa, Ula Tabari, Mariah Tannoury – sont toutes excellentes.

 

Tourné à Istanbul l’an dernier, Mon tissu préféré, présenté dans la section Un certain regard aujourd’hui, se déroule dans la capitale Damas en mars 2011, comme si rien ne s’y était passé dans d’autres régions de Syrie, comme si les révoltes qui éclatent à travers les pays n’avaient pas de voix, comme si les forces de l’ordre ne tiraient pas à balles réelles sur les manifestants. Quand Nahal parle avec sa mère, affairée sur sa machine à coudre, ces événements, prémisses d’une guerre dont on sait aujourd’hui qu’elle sera sans fin, les journalistes en parlent à la radio et à la télévision, mais la population, comme la famille de Nahal, pense que ce sera vite passé, même si la vie continue, il faut quand même se préparer à plier bagage.

La lumière, la photographie, les aller-retours incessants entrecoupés d’images d’archives et de séquences tournées à la GoPro amène la protagoniste, à chaque instant, à franchir la frontière entre la fiction et la réalité, entre la politique et ses désirs inavoués, brouillant sans cesse le récit. Le résultat déstabilise, trouble et questionne, même au-delà de la projection … C’est sans doute le but recherché par Gaya Jiji. Le titre devient alors explicite : même si Nahal travail dans un magasin d’habits, il s’agit bien ici de tissu social et politique, prêt à s’effilocher selon les tournures que prendront les événements.

Firouz E. Pillet, Cannes

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Firouz Pillet

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