Cannes 2019 : « Liberté », du catalan Albert Terra, prétend célébrer les libertins mais semble plus un film bavard à résonance porno hard
Le nouveau du réalisateur catalan Albert Terra est un traité que le réalisateur a présenté comme un hommage aux libertés du siècle des Lumières quand il est monté sur la scène de la Salle Debussy. « Un film ludique et majestueux » dans le langage du cinéma provocateur d’Albert Terra, un cinéma qui explose toute les frontières.
Projeté dans la section Un Certain Regard, le film a attiré bien des festivaliers mais, alors que la scène était pleine initialement, les sièges ont rapidement été libérés et le flux de spectateurs qui quittaient la salle était discontinu. La capacité infinie de provocation de Terra habite toute sa filmographie et a atteint ici un paroxysme car il entre dans une fiction historique sur l’Europe à la vieille de la Révolution française avec un esprit libertin né durant le siècle des Lumières : pour fuir la cour stricte et pudibonde de Louis XVI, les libertins français rallient un noble allemand qui pratique le libertinage décadent, voire pire. La fête commence donc au coucher du soleil à la fin du 18ème siècle, avec la fin du règne de Louis XV en toile de fond. La débauche est tombée dans la honte en tant que modus vivendi et ses derniers défenseurs décadents sillonnent les bois à la recherche de la protection d’un noble qui fournit des demoiselles et des jeunes avec qui continuer à mettre en pratique son répertoire sans fin de partielles plus ou moins déviantes … Surtout plus !
Dans la nuit continue de Liberté – Albert Serra assure vouloir nous parler « du désir qui traverse les époques et les pays »-, le désir et la sexualité deviennent à la fois des impulsions libératrices et des forces démocratisantes, en signe de rébellion contre la cour de France devenue rigoriste. Peu importe l’âge, le sexe, la taille, le poids, la hiérarchie sociale ou l’orientation sexuelle des personnages, tous y trouvent leur compte dans les bois dédiés à leurs ébats, à leurs fantasmes et à leurs débauches. Tout le monde est le bienvenu dans cette orgie sans fin que met en scène le réalisateur de Honor de cavalleria avec on plaisir tangible.
Plusieurs dialogues des libertins – des personnages peu psychologiques – permettent de retracer les piliers philosophiques du marquis de Sade. Dans une scène fascinante, les «messieurs» discutent de la possibilité d’enlever une jeune femme pour la soumettre à leurs desseins alors qu’ils triturent avec leurs mains de la terre boueuse avec des bouses de vaches : « Conservez ce mélange de terre et de boue qu’on lui fera avaler ! Messieurs, urinez et conservez votre urine qu’on lui mettra dans son anus ! Ejaculez tous dans sa bouche et empêche-la de recracher votre sperme ! » Scatologie, urinologie … Y avait-il vraiment ces pratiques dans le Marquis de Sade qui, certes était libertin avec un certain esthétisme mais, me semble-t-il de nombrer dans ces pratiques appelées de nos jours extrêmes ?
Contrairement aux machinations brutales et non consensuelles de Sade, les rencontres avec les scènes de Serra sont principalement des fêtes sexuelles partagées.
Dès que la nuit tombée, la forêt est éclairée, et pas seulement avec le délicat éclairage artificiel qui capture l’appareil photo numérique d’Artur Tort. Les passions se déchaînent et une soirée érotique commence. Vu l’obscurité, il n’y a rien de très visible mais verbalement, on est copieusementinformé de ce qui se passe. Un jeune homme empli d’assurance explique à un comparse : « Amenez-moi un petit veau, je lui mettrai ma tige bien profond dans ses narines pendant qu’il me lèvera les bourses, vous voyez ce que je veux dire ? Vous lui tiendrez le membre bien comme il faut avant que je le fourre. » Zoologie en plus ! Pourtant le Marquis de Sade ne s’affairait qu’avec les humains, pas avec les animaux.
Il suffit, s’en est trop ! Aimer provoquer est une chose, prendre en otages les spectateurs à assister à des scènes de porto hard en est une autre !
La sous-signée n’a jamais vécu cette situaiton d’être, à son insu, mise en position de voyeurisme devant des scènes qui ne font bander que son auteur. Ah, si une seule fois, aussi prise en otage dans une pièce de théâtre d’Anne Bisang où l’acteur principal courait nu dans les gradins brandissant son sexe au nez des spectateurs avant de disparaître pour mieux revenir, à quatre-pattes sur un chariot à desserts, un vibromasseur en marche enfoncé dan son rectum. Quelques spectateurs avaient tenté de quitter la salle mais Anne Bisang avait tout anticipé et avait installé d’immense colonnes devant la sortie.
L’avantage que cela soit au cinéma, qui plus est au Palais des festivals, a parmi aux nombreux spectateurs de partir … Seuls quelques inconditionnels sont restés.
Un journaliste espagnol établi à Paris, Sergi Ramos, qui travaille pour un journal mexicain, La Jornada Zacatecas m’a confié :
Les Espagnols connaissent l’immense tendance d’Albert Terra à provoquer. Son film n’est pas tant attendu que cela en Espagne. Par contre, dans son nouveau film comme dans les précédents, il y a plusieurs langues, plusieurs pays représentés car c’est un grand europhile. Je me souviens d’un film dont le récit commençait en Allemagne, passait par l’Autriche et l’Italie et finissait en Roumanie. Il aime voyager dans ses films.
Firouz E. Pillet, Cannes
© j:mag Tous droits réservés