Cannes 2019 – « Little Joe », de l’Autrichienne Jessica Hausner : une plante peut en cacher une autre
Alice, mère (Emily Beecham, vue dans le récent film indépendant britannique Daphne) divorcée, est une phytogénéticienne chevronnée qui travaille pour une société spécialisée dans le développement de nouvelles espèces de plantes. Elle a conçu une fleur très particulière, rouge vermillon, à l’aspect hybride entre un coquelicot pour sa couleur et un oeillet pour l’aspect hirsute. Cette plante est remarquable tant pour sa beauté que pour son intérêt thérapeutique. En effet, si on la conserve à la bonne température, soit très élevée, si on la nourrit correctement et si on lui parle régulièrement, la plante rend son propriétaire heureux grâce à un effet qui s’apparente à celui de l’ocytocine, l’hormone qui tisse le lien entre la mère et son enfant.
Au nom de son travail, elle néglige de plus en plus son fils d’âge scolaire appelé Joe (Kit Connor). Parmi ses collègues se trouvent Chris (Ben Whishaw), qui pourrait bien être amoureux d’elle, et Bella (Kerry Fox), une scientifique plus âgée qui vient de se remettre d’une panne et qui est autorisée à amener son chien au travail, appelée spirituellement Bello. Bientôt Alice commence à enfreindre les règles de procédure concernant ce qu’elle est autorisée à faire pour accélérer le développement de l’usine. Elle en apporte même une à la maison et la nomme «Little Joe», une plante aux fines frondes rouges hérissées. Mais, à mesure que la plante grandit, Alice est saisie des doutes de plus en plus tenaces quant à sa création: peut-être que cette plante n’est finalement pas aussi inoffensive que ne le suggère son petit nom si délicat.
La bande-son qui contribue à créer une atmosphère anxiogène avec des séquences de musique assez fréquentes qui ponctuent le récit : du balafon qui résonne, des cymbales chinoises aux sonorités aigües comme danse le théâtre chinois , puis surtout des sons stridents qui ressemblent à des acouphènes portés à un volume toujours plus puissant; de quoi provoquer des céphalées, ce qui fut mon cas.
La réalisatrice et scénariste autrichienne a une filmographie qui fascine : son film Lourdes (2009), mystérieux et stimulant sur les miracles, revendique le statut de classique moderne. Ce nouveau film au look captivant, est tourné dans un style froid, clair et parfaitement aseptisé réfrigéré, à l’instar des précautions prises par le personnel de l’entreprise qui s’affaire à préparer Little Joe pour la prochaine foire aux fleurs où ils espèrent gagner un prix.
Un style froid, aseptisé, épuré ? Cela rappelle écrangement Michael Hanecke … Et pour cause ! La Viennoise Jessica Hausner a été son assistante. Elle a absorbé l’enseignement de son mentor et sait le restituer à la perfection. La séquence finale de Little Joe sème le doute dans l’esprit des spectateurs qui sortiront encore plus perplexes de la salle de projection. Alors qu’Alice, farouchement récalcitrante à ce que son fils aille vivre chez son père à la campagne, accepte finalement avec un certain détachement. On la voit arroser Little Joe en lui souhaitant bonne nuit. Little de lui répondre, en voix off : « Bonne nuit, maman ! »
Un sentiment de malaise profond déjà ressenti dans US Games : l’élève à attent le niveau du maître.
Firouz E. Pillet, Cannes
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