Cannes 2022 : Frère et Sœur, d’Arnaud Desplechin, présenté en compétition, dissèque la haine viscérale entre un frère et sa sœur
Arnaud Desplechin est un habitué de la Croisette : Tromperie, sélectionné à Cannes Première, nouvelle section hors compétition du festival cannois en 2021, présentait l’an dernier l’adaptation de Deception, de Philipp Roth (1994). Le cinéaste roubaisien revient à Cannes avec Frère et Sœur qui suit, au fil des ans, la haine qu’entretiennent Alice (Marion Cotillard) et Louis (Melvil Poupaud), un frère et une sœur à l’orée de la cinquantaine… Alice est actrice, Louis fut professeur et est désormais poète. Alice hait son frère depuis plus de vingt ans sur une simple phrase qu’elle a lancée à l’époque. Ils ne se sont pas vus depuis tout ce temps – quand Louis croisait la sœur par hasard dans la rue, celle-ci ne le saluait pas et fuyait… Le frère et la sœur vont être amenés à se revoir lors du décès accidentel de leurs parents.
Arnaud Desplechin plonge les spectateurs au cœur de la saga familiale des Vuillard. Dans la famille Vuillard, il y a donc la sœur aînée qui a rapidement quitté les bancs de la faculté pour devenir comédienne. Il y a le second enfant, le premier fils, Louis qui est devenu un ponte reconnu et apprécié du public. Il y a le petit dernier, Fidèle (Benjamin Siksou) qui tente de rabibocher ses aînés. Leurs parents, Marie-Louise (Nicolette Picheral) et Abel (Joël Cudennerc) ont eu un grave accident de la route en voulant porter secours à une jeune automobiliste. La mère est dans le coma mais le père, à la fois tendre et autoritaire, a encore le temps de parler à ses enfants, essayant de les réconcilier avant son ultime voyage. À travers cette haine qui s’instaure durablement dans le temps sans que quiconque en connaisse les fondements, Arnaud Desplechin questionne ses protagonistes comme ses spectateurs : quand la haine, cet autre visage de l’amour, peut-il prendre fin ? Que faire pour que la haine se tarisse ?
Alice voue à son frère Louis une haine d’une telle intensité qu’elle convoque des figures archaïques comme Etéocle et Polynice ou Abel et Caïn, reliant la haine de cette femme aux mythes fondateurs, à un socle universel. Le public laisse galoper son imagination et suppose que la cause de cette haine doit être impardonnable, redoutable, inavouable. Les spectateurs constatent combien Alice est captive de sa haine quand elle trébuche sur Louis au supermarché ou quand elle se laisse choir dans le couloir d’hôpital, feignant un malaise, pour éviter de croiser son frère.
Louis a un ami psychiatre, Zwy (Patrick Timsit), sur lequel il peut compter quelles que soient les circonstances. Louis bénéficie aussi du soutien inconditionnel de sa femme, Faunia (Golshifteh Farahani). Leur couple est d’autant plus fort depuis que les parents ont perdu leur fils Jacob. La colère de Louis est virulente alors que sa mère et sa sœur viennent à la veille funéraire de Jacob. Pourtant Louis, par sa silhouette élancée, son goût pour l’opium et l’alcool, présente un mélange d’extrême agressivité en même temps qu’une extrême douceur. Ces rencontres ramènent la sœur et le frère à la vie, à l’importance de profiter des êtres tant qu’ils sont là et laissent entrevoir une possibilité de sortir de la haine.
Le non-verbal jour un rôle prépondérant non seulement au niveau des regards mais aussi au niveau des corps qui ici se dérobent, chutent, sont menacés de désintégration par l’Altérité, s’affaissent pour mieux se relever. La violence des sentiments et des événements qui traverse le film suffoque les personnages, les poussant dans leurs retranchements. Au cœur de Frère et Sœur, il y a un mystère : celui de la haine d’Alice pour Louis. Tout au long de l’histoire, Arnaud Desplechin sème des indices, en laissant toujours libre l’interprétation. Par exemple, lorsqu’ils se rencontrent à la brasserie, Faunia, Golshifteh Farahani, demande à Louis pourquoi Alice le déteste. Louis lui répond qu’il ne serait pas très moral de répondre à cette question; il est l’objet de la haine d’Alice et celui lui suffit… Du moins, il s’en accommode parfaitement.
Il n’y a aucune raison pour haïr quelqu’un au-delà de soi-même. Alice est captive de ce sentiment dont elle ne connaît même plus la source si ce n’est une phrase lancée comme une provocation. Son père, Abel, lui dit qu’elle est en prison et qu’elle doit se libérer.
Arnaud Desplechin a travaillé avec Julie Peyr à l’écriture du scénario, créant un lien serré entre le présent et le passé dans ce récit par un jeu de strates et de résonances. Cependant, très rapidement, l’exercice ne captive plus, tant les réactions sont prévisibles mais surtout excessives.
Firouz E. Pillet, Cannes
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