Cannes 2022 : Heojil Kyolshim (Decision to Leave), de Park Chan-wook, présenté en compétition officielle, entraîne le public dans une enquête policière à forte sensualité
Un homme tombe du sommet d’une montagne et meurt. Le détective responsable, Hae-joon (Park Hae-il), vient rencontrer la femme du défunt, Seo-rae (Tang Wei) qui énonce sans grande émotion : « Je m’inquiète quand il ne revient pas d’une montagne, pensant qu’il pourrait enfin mourir. » Détective chevronné, il enquête inlassablement sur la mort suspecte de l’homme. Bientôt, il commence à soupçonner la femme du défunt, tout en étant déstabilisé par son attirance pour elle.
En effet, Seo-rae ne montre aucun signe d’agitation à la mort de son mari. Avec son comportement si différent de celui d’un parent en deuil, la police la considère comme une suspecte. Hae-joon interroge Seo-rae, et tout en l’observant en planque, se sent développer lentement un intérêt pour elle. Voire un très vif intérêt ! Pendant ce temps, l’imperturbable Seo-rae en dépit d’être soupçonnée d’un crime, agit avec audace envers Hae-joon. D’ailleurs, très rapidement dans le récit, les spectateurs se laissent attendrir, voire séduire par cette suspecte qui cache ses vrais sentiments, et éprouvent une certaine compréhension pour ce détective qui soupçonne et désire sa suspecte. Pour remettre de l’ordre dans son dossier, et surtout dans son esprit, Hae-joon ne voit qu’une solution : « Décision to leave ! » Sa décision est de partir avec sa femme en espérant ainsi oublier cette suspecte si attirante.
Le nouvel opus, de Park, suivant les valses hésitations d’un détective marié déchiré entre la séduction, la tentation de l’infidélité et le devoir moral, maintient en haleine les spectateurs qui se laissent agréablement surprendre et décontenancer à chaque revirement de situation. Autrefois, le réalisateur coréen Park Chan-wook fut le maître de la violence de vengeance gonzo, il a effectué un changement de cap vers le thriller à suspense à l’esthétique soignée en 2016 en adaptant le roman de Sarah Waters, The Handmaiden (Mademoiselle).
L’intrigue de Decision to Leave se regarde comme on lirait un thriller érotique hollywoodien du début des années nonante, avec délectation et avec une savoureuse curiosité de découvrir la suite – on songe à Shattered ou Basic Instinct – et les spectateurs se laissent agréablement porter, voir entraîner par cette atmosphère délicieusement sensuelle mais qui évite soigneusement les sensations fortes ou les rebondissements abrupts. Les illusions et les énigmes qui surgissent dans un récit de Park Chan-wook ne sont pas le fruit du hasard. Le cinéaste coréen maîtrise parfaitement l’évocation des intrigues élaborées qui se dévoilent, avec parcimonie, par touches successives, très picturales, au fur et à mesure que les détails s’accumulent, pour le plus grand bonheur des spectateurs.
Park Chan-wook prouve une nouvelle fois qu’il excelle dans la maîtrise des thèmes de la romance impossible et du conflit intérieur, soumettant ses protagonistes au balancier existentiel entre le désir et la moralité. Decision to Leave réussit à créer un thriller profondément sensuel, voire subtilement érotique, sans artifices ni tactiques de choc extrêmes.
Firouz E. Pillet, Cannes
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