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Cannes 2022 : Les amandiers, de Valeria Bruni Tedeschi, présenté en compétition officielle, rend un joyeux hommage à Patrice Chéreau et l’école de théâtre qu’il a dirigée

Fin des années quatre-vingts, Stella (Nadia Tereszkiewicz), Etienne (Sofiane Bennacer), Adèle (Clara Bretheau) et toute la troupe ont vingt ans. Ils passent le concours d’entrée de la célèbre école créée par Patrice Chéreau (Louis Garrel) et Pierre Romans (Micha Lescot) au Théâtre des Amandiers de Nanterre. Lancés à pleine vitesse dans la vie, la passion, le jeu, l’amour, ils vont vivre le tournant de leur vie mais aussi leurs premières grandes tragédies.

Les Amandiers de Valeria Bruni Tedeschi
© 2022 – Ad Vitam Production – Agat Films et Cie – Bibi Film TV – Arte France Cinéma

Disparu en 2013, Patrice Chéreau reste une figure majeure du théâtre mais aussi du cinéma. Avec Les Amandiers, du nom du théâtre qu’il dirige de 1982 à 1990, devenant sous son impulsion une scène nationale et non plus une maison de la culture, Valeria Bruni Tedeschi rend un hommage enjoué tant à l’homme qu’à l’artiste et au professeur.

Pour incarner Patrice Chéreau sur le grand écran, Valeria Bruni Tedeschi a choisi son ex-compagnon, Louis Garrel et avec lequel elle a conservé une immense complicité artistique. Louis Garrel qui a le défaut de ne ressembler en rien à Patrice à Chéreau mais a la qualité de l’incarner avec ses sautes d’humeur et sa versatilité. Valeria Bruni Tedeschi, qui fut élève au théâtre des Amandiers, se remémore cette époque heureuse et insouciante où la fougue de la jeunesse les faisant toutes et tous vibrer d’un même élan.
Les Amandiers de cette époque est « l’endroit où il fallait être », selon la cinéaste, pour passer de l’adolescence à l’âge adulte, sortir de sa chrysalide pour devenir acteur sans passer par les carcans de la sacro-sainte institution du Conservatoire de Paris. Aux côtés de l’étudiante en théâtre qu’est Valeria Bruni Tedeschi se trouvent Agnès Jaoui, Vincent Pérez, Eva Ionesco, Thibault de Montalembert …

Valeria Bruni Tedeschi élabore une énergie de groupe, un collectif de jeunes élèves emplis d’idéaux et de passion, des herbes folles qui se feront dompter par Patrice Chrreau que tout le monde espère voir et attend avec frénésie mais qui passe, sans crier gare, à l’improviste pour aussitôt disparaître. Après une grande sélection et des auditions, les élus attendent le résultat du concours : ils ne seront que douze élèves. Ce petit nombre d’élus connaissent leur chance et la saisiront pour apprendre à jouer sous la direction de Patrice Chéreau et de Pierre Romans.

Dans ce film choral, chaque personnage a son importance et connaîtra, chacun à son tour, quelques instants de lumière. Mais deux élèves se distinguent de la troupe : Stella et Étienne. Elle est issue de la bourgeoisie aisée, il vient de la banlieue. Tous les séparent mais ils s’aiment. Par le biais de ses divers personnages et leurs histoires personnelles, Valeria Bruni Tedeschi restitue le contexte de l’époque avec ses démons – le sida, la drogue et l’overdose – qui apporte à certains de ses personnages une dimension dramatique des héros de tragédies grecques.

Thanatos est omniprésent, rôdant dans les coulisses du théâtre, marquant de son empreinte certains élèves, déstabilisant la cohésion du groupe fraîchement constitué. Une élève, Juliette (Liv Henneguier) attend un enfant de son fiancé décédé, un autre, Victor (Vassili Schneider) déjà marié à dix-neuf ans, montre fièrement son alliance et se dit romantique mais apprend que sa femme, enceinte, est atteinte du sida. Étienne, magnifiquement interprété par Sofiane Bennacer qui donne une noirceur et l’incandescence des poses romantiques, est toujours sur la tangente, joue constamment avec les limites en affirmant les maîtriser, consumant sa vie à petit feu à travers ses excès liés à la drogue.

Sofiane Bennacer, très talentueux, incarne son premier grand rôle, donnant vie avec justesse ce jeune homme en constant suspens. L’énergie déployée par Stella (Nadia Tereszkiewicz) pour apporter la lumière dans la déchéance d’Étienne, dont elle partage brièvement l’existence, est remarquable.
Voulant à tout prix conserver la dimension chorale du film, sans doute pour recréer la troupe et l’émulation qui régnait aux Amandiers, Valeria Bruni Tedeschi cherche à donner la parole à chaque personnage, à le mettre en lumière, faisant la part belle aux jeunes gens qui sont le cœur et le corps du film. La cinéaste évoque furtivement que Patrice Chéreau nourrissait, en coulisses, une passion pour ses acteurs masculins.

Quelques moments de grâce ponctuent le film, en particulier lors du séjour de la troupe à New-York pour suivre les enseignements du Lee Strasberg Institute, plus connu sous le nom d’Actor’s Studio, ou lors les répétitions de Platonov que Chéreau monte avec eux pour une première représentation en 1987.

On retient de cette époque la fureur de vivre et l’incroyable envie de jouer malgré la dureté de la décennie. On ressent l’urgence de jouer sans viser un plan de carrière. Être sur scène prime et est vital pour ces jeunes qui semblent brûler trop vite, telles des brindilles incandescentes, distillant sans compter et sans ménager leur énergie.

Firouz E. Pillet, Cannes

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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