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Cannes 2024 : présenté en compétition, Megalopolis, de Francis Ford Coppola, illustre un rêve de jeunesse qui vire au cauchemar psychédélique

Habitué du Festival de Cannes où il a remporté deux Palmes d’or, le vénérable cinéaste américain revient sur la Croisette en concourant pour la Palme d’Or, mais divise et déçoit.

— Adam Driver et Nathalie Emmanuel – Megalopolis
Image courtoisie Festival de Cannes

À quatre-vingt-cinq ans, Francis Ford Coppola foule pour la troisième fois les marches rouges pour présenter un film en compétition à Cannes, sans oublier ses précédentes sélections dans d’autres catégories, et sa présidence du jury en 1996.

Présenté ce 16 mai, Megalopolis était le film-événement du festival. La presse internationale comme les festivaliers se pressaient. Parler de cohue semblait un terme faible et les retardataires n’avaient que la rediffusion de la conférence de presse pour se consoler. Si les diverses salles qui accueillaient le film pour les projections successives étaient pleines à craquer, elles ne le restaient pas durant l’intégralité des séances.
Ce film de prospective fictionnelle qui mêle l’avenir des États-Unis à une kyrielle de références antiques – romaines et latinistes – devaient perdre nombre de spectateurs en cours de projection. De toute évidence. Megalopolis divisait de manière abrupte, entre rires d’un côté et départs agacés et bruyants de l’autre.

Affichant une distribution qui éblouit tant les stars s’y bousculent, on réalise que l’hypothèque de sa maison et la vente de ses vignobles s’imposaient au cinéaste pour financer une telle aventure digne des jeux de la Rome antique. Cette métaphore de l’Amérique propose une immersion dans un cinéma utopiste à travers le portrait vertigineux et virevoltant de la cité Megalopolis. Le film se veut une épopée romaine dans une Amérique moderne imaginaire et en pleine décadence comme son modèle à la fin de son règne. Tout y est volupté, luxure, orgies et décadence. La ville de New Rome est en perdition et doit impérativement changer, ce qui engendre un conflit fratricide majeur entre César Catilina (Adam Driver), artiste de génie ayant le pouvoir d’arrêter le temps, et le maire archi-conservateur Franklyn Cicero (Giancarlo Esposito), fidèlement assisté par son homme de main, Nush « The Fixer » Berman (Dustin Hoffman).

Le premier rêve d’un avenir utopique idéal alors que le second reste très attaché à un statu quo régressif protecteur de la cupidité, des privilèges et des milices privées.

La fille du maire et jet-setteuse Julia Cicero (Nathalie Emmanuel), amoureuse de César Catilina, est tiraillée entre les deux hommes et devra découvrir ce qui lui semble le meilleur pour l’avenir de l’humanité et de son enfant qu’elle prénommera Francis si c’est un garçon (Tiens, tiens !). Parmi la kyrielle affolante de personnage, citions les interprètes : Shia LaBeouf, Aubrey Plaza, Kathryn Hunter, Forest Whitaker, Grace VanderWaal, Zendaya, Laurence Fishburne, entre autres.

Dans ce récit réparti en chapitres annoncés par des stèles aux chiffres romains, Comme Boileau, le cinéaste américain a souvent remis l’ouvrage sur le métier. Ce projet, le plus ambitieux de sa carrière, a été « réécrit jusqu’à trois-cents fois en quarante ans » tant cette fable visionnaire et futuriste est primordiale pour le cinéaste. Il conservait précieusement ce projet dans ses cartons depuis des années et l’a donc financé sur ses propres deniers en hypothéquant sa maison et en vendant ses vignobles californiens. Un projet qui lui est si cher qu’il le dédie, dans le générique de fin, à sa femme Eleonora, récemment disparue.

Commencé en 2001 puis arrêté suite aux attentats du 11 septembre, le tournage a repris vingt ans plus tard en studios à Atlanta et dans la ville de New York, qui a toutes les qualités, en particulier architecturales, ici magnifiées par la caméra de Francis Ford Coppola.

Paradoxalement, ce nouveau film de Francis Ford Coppola flirte avec tous les excès d’un premier essai, suggérant de nombreuses pistes sans en poursuivre aucune, faisant jaillir un feu d’artifices d’idées qui éblouit momentanément mais finit rapidement par épuiser. Affichant une liberté de ton assumée, le cinéaste cumule à l’excès, telles les orgies romaines à travers des effets de mise en scène et d’effets spéciaux bricolés. Si les prétentions thématiques de Megalopolis sont ambitieuses, traitant des jeux de pouvoir, de la convoitise, de la vengeance et du temps, le cinéaste veut beaucoup dire de choses, peut-être trop de choses…

Au sujet de film qui semble testamentaire, Francis Ford Coppola déclare :

« En tant qu’espèce, nous avons tous le même ancêtre : nous sommes une famille. Faisons-en sorte que ce lien-là soit réel et que notre monde ressemble à celui que l’on souhaite voir comme notre paradis »

Cette fresque sur l’avenir de la métropole en perdition qui se joue entre deux hommes, un architecte idéaliste d’un côté, un maire corrompu adepte des forêts de béton de l’autre surprend, déconcerte, épuise. Entre les deux, Julia (Nathalie Emmanuel, star de Fast and Furious), compagne de l’un et fille de l’autre, et plusieurs personnages douteux, comme ceux joués Shia LaBeouf et John Voight.

À l’instar de son modèle romain, Megalopolis est en proie à de terribles complots et des excès en tous genres. Peut-être là l’expression de la déception et de la colère de Coppola face au déclin de son Amérique adorée ? Mais il faut avoir le cœur bien accroché pour tenir la longueur du récit dont la cohérence narrative laisse à désirer.

Cette profusion d’idées jetées en vrac tels des confettis se révèle un amas déroutant et tapageur même si la forme cinématographique reste audacieuse. On ressort de la séance secoués, comme après plusieurs passages en grand-huit. Force est de constater que les nombreux thèmes sont mal développés, de multiples scènes paraissent à moitié terminées, nombre de performances semblent artificielles, les dialogues s’apparentent à une succession de mots à la recherche d’une histoire qui prend difficilement forme, voire n’existe pas. Et la morale de l’histoire intrigue et interroge le pouvoir et l’argent triomphant.

Megalopolis est peut-être le cliché révélé d’un rêve éveillé d’un cinéaste de génie qui ose tous les excès vu son âge et son parcours, proposant une expérience transcendantale pour les sens et la finitude absolue de la vision de Coppola pour l’humanité.

Firouz E. Pillet, Cannes

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Firouz Pillet

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