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Cannes 2024 – Semaine de la Critique : Sauna Day (Sannapäiv) de Anna Hints & Tushar Prakash, un haïku sur l’intimité masculine

Lorsque nous avions rencontré la réalisatrice, scénariste et compositrice estonienne Anna Hints pour son film documentaire Smoke Sauna Sisterhood, élu meilleur documentaire européen 2023 par l’Académie européenne du cinéma (EFA), nous lui avions posé la question sur le rapport des hommes avec ce sauna à fumée traditionnel du sud de l’Estonie. Elle nous avait répondu qu’ils fréquentent également ces saunas mais que des hommes étaient venus la voir après vu le film pour lui dire :  « Pourquoi allons-nous dans ces saunas et parlons de banalités au lieu d’aborder des sujets réels ? » Elle avait ajouté :

« Certains m’ont même demandé si je pouvais faire un « Smoke Sauna Brotherhood », à quoi j’ai répondu : « Eh bien, les gars, vous devriez d’abord créer une fraternité ! Vous devriez d’abord vous ouvrir, commencer à transpirer et devenir vulnérables, laisser émerger la vraie saleté. » Alors oui, ils y vont, mais avec une approche différente. Cela reflète l’influence de l’état d’esprit patriarcal qui pousse à dissimuler sa vulnérabilité. »

Eh bien dans ce court métrage de fiction, les voilà ! Ironiquement, la première scène dévoile des hommes de tous âges, assis en rang d’oignon, suant silencieusement, finissant par échanger quelques mots… à propos de tuiles pour refaire le toit. Une fois ces acteurs non-professionnels sortis du sauna, ne reste plus que deux protagonistes quarantenaires, Jaak (Rasmus Kaljujärv) et Hillar (Agur Seim). S’ensuit une longue séquence sans paroles dans laquelle Anna Hints et Tushar Prakash mettent en scène ce que justement Anna Hints ne peut montrer dans un documentaire qui aurait pour protagoniste des hommes dans un sauna : une fraternité qui implique une proximité physique et une intimité sans complexe.
Les cinéastes livrent ici un moment intense, très suggestif, fin et délicat dans lequel affleurent les émotions des protagonistes dans une action concertée sans pourtant avoir été verbalisée, qui s’intègre naturellement aux traditions du sauna à fumée – la flagellation avec un bouquet de branches et feuilles – mais va au-delà du conventionnel, se transformant crescendo en catharsis ambigüe.

— Rasmus Kaljujärv et Agur Seim – Sauna Day (Sannapäiv)
Image courtoisie Semaine de la Critique

Une fois le passage rituel dans le sauna à fumée, suivi de la plongée dans le lac pour dégorger l’instant suspendu terminés, ils retournent dans l’antichambre du monde extérieur – l’endroit où ils se changent et reprennent la conversation sur la construction du toit. Hors champ, des voix de femmes et d’enfants, une femme les appelle pour qu’ils sortent. Jaak ouvre la porte, l’image devient noire – le temps reprend son cours…

Ants Tammik, le directeur de la photographie de Smoke Sauna Sisterhood, tient ici à nouveau la caméra et apporte son expérience acquise dans le précédent film pour tourner dans des conditions extrêmement difficiles : un endroit exigu, très peu éclairé, saturé d’humidité et soumis à des chaleurs extrêmes. Le résultat est à nouveau bluffant, avec une photographie sculptant la matière des corps dans le matériau de la pénombre, immergeant la spectatrice, le spectateur dans cet espace-temps détaché du quotidien.

De Anna Hints & Tushar Prakash; avec Agur Seim, Rasmus Kaljujärv ; Estonie; 2024; 13 minutes.

Malik Berkati

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