El buen patrón (Le bon patron), de Fernando León de Aranoa, brosse le portrait d’un patron paternaliste avec autant d’humour que d’observation réaliste
Un ex-employé viré qui proteste bruyamment et campe devant l’usine avec moult banderoles et mégaphone ; un gardien d’usine, Miralles (Manolo Solo) qui sympathise avec le contestataire ; un contremaître, José (Óscar de la Fuente), qui met en danger la production parce que sa femme le trompe ; un responsable d’atelier maghrébin, Khaled (Tarik Rmili) pour donner bonne conscience au patron ; une stagiaire, Liliana (Almudena Parejo Amor), tellement irrésistible…
À la veille de recevoir un prix censé honorer son entreprise, Juan Blanco (Javier Bardem, brillantissime !), héritier de l’ancestrale fabrique familiale de balances industrielles dans une ville des provinces d’Espagne, doit de toute urgence sauver la boîte. Il s’y attelle, à sa manière, paternaliste, interventionniste et autoritaire… En bon patron ?
El buen patrón suit pendant une semaine Blanco, dynamique, charmant et charmeur, empli d’humour tant que les rouages de sa fabrique sont bien huilés et que ses employés marchent à la baguette. On assiste, tout comme le parterre d’ouvriers, au discours de ce patron si paternaliste qui félicite, fait rire mais intimide aussi. Il dit regretter les licenciements récents, dont celui d’un père de famille quinquagénaire, mais affirme n’avoir pas eu d’autres choix.
Ce patron, digne héritier d’une tradition familiale tant dans la confection de balances que dans la gestion du personnel, souhaite préparer son usine à une inspection au cours de laquelle un prix d’excellence en affaires est à gagner. Les problèmes s’accumulent précisément les jours où tout doit être parfait. Pour y remédier, le bon patron, magnifiquement interprété par Javier Bardem qui semble s’être régalé dans l’interprétation de ce rôle, use de contacts, de pratiques douteuses et d’astuces peu morales pour tenter de couvrir toute anicroche sur ce qu’il considère comme une gestion irréprochable.
Avec El buen patrón, Fernando León de Aranoa signe une comédie certes noire mais délicieusement truculente et à l’humour de situations comme de répliques très efficace. Le cinéaste a, de toute évidence, concocté un rôle sur mesure pour Javier Bardem qui excelle en patron paternaliste avec un amusement tangible et communicatif. L’acteur a effectué un travail impressionnant et remarquable en adaptant sa voix et son langage corporel pour imiter un personnage aux multiples facettes et aux contradictions évidentes. Javier Bardem porte le film sur ses épaules sans tomber dans la parodie ni le grotesque.
El buen patrón s’avère être une comédie pamphlétaire, mais Fernando León de Aranoa limite les moments syndicalistes aux revendications de l’employé licencié et de ses rencontres avec la police, avec le gardien puis, finalement avec le patron. Du début à la scène finale du film, le public rit de bon coeur mais il est évident que l’on rit sur des sujets sérieux grâce à la forme adoptée par le cinéaste.
Le scénario est parfaitement équilibré et faire la part belle à une palette savoureuse de personnages, entre la femme, fidèle « associée » matrimoniale mais qui se sait trompée et le vit sereinement, le meilleur ami et contre-maître qui reçoit moult conseils, bien évidemment paternalistes mais qui sera évincé quand il gêne trop, la si séduisante stagiaire qui, malgré sa jeunesse et son joli minois, se révélera une femme de poigne redoutable.
Les personnages dépeints par Fernando León de Aranoa décrivent les diverses attitudes et les vices multiples du milieu des affaires en province, pointant une corruption institutionnalisée qui sévit au cœur de l’entreprise depuis plusieurs générations… Mais est-ce l’apanage de la province ? Rien n’est moins sûr !
Malgré les vives critiques essuyées après son passage au Festival de San Sebastian, El buen patrón a représenté l’Espagne aux Oscars. Il a en outre remporté six Goyas (l’équivalent des Césars espagnols), dont celui du meilleur film, du meilleur réalisateur, du meilleur acteur (Javier Bardem) et du meilleur scénario.
Firouz E. Pillet
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