Fahrenheit 11/9 : Les deux grandes gueules de l’Amérique
Au fil des années, Michael Moore nous a habitué à son style de question délibérément naïf, à ses montages corrosifs et à sa façon extravagante de prendre position. En tant que cinéaste, il fait rarement fausse route, même si on peut s’objecter sur ses analyses. Fahrenheit 11/9 ramène tous les éléments chers aux fans, en y ajoutant pour la première fois un élément d’auto-critique. Surtout, il laisse davantage la parole à ses intervenants. Le résultat a l’effet d’un bulldozer. Nous serons en mesure d’en apprécier l’impact au soir du 6 novembre prochain.
Le titre du film de Moore se réfère non seulement à Fahrenheit 9/11 (2004), son précédent film sur la démocratie mise en danger par le gouvernement Bush (lui-même se référait à Fahrenheit 451, film de dystopie dirigé par François Truffaut en 1966), mais aussi sur le jour où Donald Trump fut nommé gagnant des présidentielles, le 9 novembre 2016. Ces références ne sont pas à négliger, puisque Moore prédit la venue d’un gouvernement autocratique au États-Unis, dû entre autres à l’apathie libérale.
En 2016, alors que tous les sondages donnaient la victoire d’Hillary Clinton, Moore fut l’un des rares à prédire celle de Trump. Tandis que des images de démocrates catastrophés le soir du 8 novembre déferlent à l’écran, le cinéaste interroge ‘Comment diable en sommes-nous arrivés là ?’ Le film explique certaines des conditions qui ont mené à cette victoire, en tirant autant et plus sur les démocrates que sur les républicains. S’il condamne l’utilisation du Collège Électoral, système issu de la Guerre de Sécession pour rassurer les états du sud, c’est surtout vers les démocrates qui pointe sa ligne de mire. Moore ne se gêne pas pour critiquer l’apathie libérale et la dérive à droite de l’intelligentsia du parti démocrate, de Bill Clinton à Barack Obama. Il critique entre autre le pouvoir donné aux ‘super délégués’ lors de la nomination des candidats aux partis – qui donna à l’été 2016 la victoire à Hillary Clinton alors que Bernie Sanders avait plus de voix, causant une immense désillusion au sein des délégués. Le cinéaste blâme aussi amèrement Barack Obama pour son soutien à Rick Snyder, le gouverneur républicain du Michigan, lors du scandale de l’eau potable à Flint, ville natale de Moore. Dix milles enfants y avaient été empoisonnés au plomb à cause des manœuvres capitalistes de Snyder, qui alla jusqu’à demander de faire falsifier les tests sanguins, tout en permettant à Genaral Motors de bénéficier d’eau propre parce que l’eau contaminée corrodait les carrosseries de leurs voitures fabriquées à Flint. Au sein d’une ville où la population noire était particulièrement affectée, le premier président noir de l’histoire des États-Unis, venu en grande pompe constater ce qui se passait, demanda publiquement de boire un verre de l’eau de Flint. Surtout, il refusa de déclarer l’état d’urgence. Et le Michigan traditionnellement démocrate vota pour Trump…
Moore est particulièrement habile dans sa volonté de sonner l’alarme de l’autocratie trumpienne, en comparant le discours nazi à celui du Président et en exposant ses stratégies de communication. En même temps, son film est enlevant alors qu’il célèbre la force des mouvements populaires, en donnant pour exemple les jeunes activistes de Parkland militant pour le contrôle des armes à feu et la grève des enseignants à West Virgina, qui obtinrent gain de cause à force d’acharnement et entraînèrent tout le pays. Fahrenheit 11/9 demeure cependant un signal d’urgence, tel un numéro 112 pour l’Amérique : ‘Dépêchez-vous, la tyrannie est à vos portes! Agissez !’
De Michael Moore; Etats-Unis; 2018; 125 minutes.
Anne-Christine Loranger
© j:mag Tous droits réservés