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IFFR 2023 – A House in Jerusalem de Muayad Alayan plonge dans l’angle mort de la mémoire collective

Parfois la sortie de film coïncide avec une actualité brûlante. En Palestine occupée et en Israël, cela fait septante-cinq ans que l’actualité brûle cette terre et ses populations, même si la Une ne se fait que lorsque le drame explose à des pics qui se mesurent aux nombres de morts. Nous sommes dans un de ces pics d’actualité, avec l’attaque de l’armée israélienne dans le camp de Jenine qui a fait dix mort∙es et une vingtaine de blessé∙es le 26 janvier 2023, suivi d’une attaque d’un Palestinien dans une rue de Jérusalem qui a fait sept morts le 27 janvier et une autre avec 2 blessés le lendemain. La peur de l’engrenage de violence a repris, pour quelques instants à l’échelle du temps-monde, le devant de la scène internationale. Le conflit est devenu en réalité pour le reste du monde une tension à bas bruit que l’on préfère mettre de côté et ignoré – jusqu’au prochain pic de violence. Un film comme celui du réalisateur palestinien de Muayad Alayan, présenté dans la section Limelight du Festival du Film de Rotterdam (IFFR), est à cet égard éloquent quant à la permanence de ce conflit. A House in Jerusalem, à travers un récit intimiste, convoque les fantômes de la Nakba (le déplacement forcé de plus de 700 000 Palestinien∙nes au lendemain de la proclamation de l’État d’Israël en 1948), esprits qui, coûte que coûte, restent sur les lieux de l’injustice qui leur a été faite.

Rebecca (Miley Locke) et son père Michael (Johnny Harris) arrivent d’Angleterre dans la maison du grand-père de Michael à Jérusalem. Il y a une année, la mère de Rebecca est morte dans un accident de voiture ; le père et la fille luttent au quotidien avec la douleur de leur deuil. Ce déménagement doit leur permettre de reprendre pied et goût à la vie. Rebecca est réticente à ce nouveau départ, ne cherche pas à s’intégrer au camp d’été censé lui donner les bases de l’hébreu pour ensuite pouvoir commencer l’école. La tension est palpable entre le père et la fille, Rebecca reprochant à son père de la couper du souvenir de sa mère – comme la robe qu’elle portait lors de l’accident –, Michael demandant à sa fille de faire des efforts pour s’adapter. Les choses vont s’envenimer lorsque des phénomènes mystérieux vont se dérouler dans la maison, une fois que Rebecca a trouvé dans le puits du jardin une poupée que son père jette immédiatement. Michael rend sa fille responsable de ce qu’il se passe dans la maison, Rebecca s’en défend et cherche désespérément à expliquer à son père que Rasha (Sheherazade Makhoul Farrell), la petite fille à qui appartient la poupée, cherche à la retrouver.

— A House in Jerusalem de Muayad Alayan
© PalCine Productions

La toile que tisse Muayad Alayan est celle du sentiment de perte, celle des êtres aimés comme celle de l’appartenance à une terre, une lignée, le sentiment d’injustice, d’incompréhension, de douleur qui se transmet (de générations en générations, également), qui empêche la communication, le dialogue – cette toile est transposable partout sur cette terre, portant en elle la matrice des chagrins individuels, des traumatismes collectifs, des deuils qui ne se font pas et emprisonnent les âmes dans les limbes.

La tonalité affective de A House in Jerusalem se reflète avec brio dans le style formel du film, avec une cinématographie maîtrisée (directeur photographie, Sebastian Bock), n’usant d’aucun effet pour tresser l’arc narratif avec ses éléments surnaturels ; le fantastique permet ici de livrer du réel. Le spectateur, la spectatrice se retrouve dans le sillage de Rebecca, accompagne sa quête pour découvrir ce qu’il se cache dans les ombres de cette maison qui recèle un mystère qui fait miroir à sa propre histoire. De manière très intelligente, par petites touches, imbriquant le passé et le présent à travers le destin de deux petites filles, mettant en lumière l’évidence pour mieux jouer avec elle et surprendre le public avec un décrochage narratif à la résolution de l’intrigue, Muayad Alayan propose un film assertif qui frappe au cœur : il s’agit de ne pas oublier, de cultiver la mémoire tout en la déchargeant de son poids d’inertie pour l’ancrer dans son advenir.

De Muayad Alayan; avec Miley Locke, Sheherazade Makhoul Farrell, Johnny Harris, Rebecca Calder, Makram Khoury; Palestine, Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas, Qatar ; 2023 ; 104 minutes.

Malik Berkati

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