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IFFR 2023 – Big Screen Competition : Endless Borders de Abbas Amini démultiplie la notion de frontières

À la frontière entre l’Afghanistan et l’Iran, dans un no man’s land montagneux traversé par des patrouilles de gardes-frontière et des réfugié∙es afghan∙nes qui entrent illégalement dans le pays, un petit village pauvre, mangé par la poussière, est devenu le lieu de travail d’Ahmad (Pourya Rahimisam), un enseignant de Téhéran, exilé intérieur, pour raisons politiques. La région est compliquée, ce n’est pas une nouveauté. Mais au-delà des régimes théocratiques et des guerres intestines, cette partie du monde, régie par des traditions ayant valeur de lois, est aussi le territoire de plusieurs ethnies aux antagonismes ancestraux. Des deux côtés de la frontière, on a principalement affaire aux ethnies Baloutches et Hazaras. Si dans nos contrées, nous connaissons surtout les Pachtounes, ethnie des Talibans, il semble en aller de même en Iran, où Ahmad, découvre les préjugés des uns envers les autres, tout comme les dogmes qui régissent implacablement les vies dans ces régions reculées.

— Pourya Rahimisam – Endless Borders
Image courtoisie Europe Media Nest

Abbas Amini démultiplie la notion de frontières – physiques, psychologiques, politiques, religieuses, sociétales. Les vastes horizons sont trompeurs : il y a toujours une limite qui empêchera l’individu de se réaliser et le ramènera dans les ordres d’un collectif. Et pourtant, il est dans la nature humaine de vouloir les dépasser afin d’avancer. C’est ainsi que l’enseignant va se retrouver au milieu d’un drame inter-ethnique, intergénérationnel et devoir choisir son camp, après avoir vainement tenté d’amener les protagonistes à évoluer dans leur représentation du monde.

Le cinéaste utilise la configuration universelle de l’amour contrarié pour illustrer la complexité de l’engagement et la responsabilité individuelle dans la société. Alors qu’Ahmed a été condamné à l’exil, sa femme, Niloofar (Mino Sharif), est en prison à Téhéran. Très vite, on comprend que la situation entre les époux est sujette à tensions personnelles touchant également différents systèmes de valeurs. De l’autre côté, une rébellion tout aussi politique, même si elle part de l’intime, entre une jeune réfugiée, Haseeba 16 ans (Behafarid Ghaffarian), et un jeune habitant du village, Balaj 18 ans (Hamed Alipour), puisque de cet amour interdit va poindre les germes d’un autre possible dans le marbre des traditions et de son attribut cardinal : l’honneur.

Formellement, Abbas Amini et son directeur de la photographie Saman Lotfian gratifient Endless Borders de magnifiques cadres, avec des panoramiques extérieurs qui subliment ces vastes paysages tout en rendant de leur extrême rudesse ; la même attention est donnée aux intérieurs, dépouillés, ainsi que le focus fait sur les personnages, dans de petits espaces tels que le bus, l’école, qui induit une précision narrative contextuelle sans avoir jamais à la surligner verbalement. Le travail sur les dialogues participe de la même rigueur – ils explicitent avec justesse l’arrière-plan social, sans lourdeur pédagogique.

— Behafarid Ghaffarian – Endless Borders
Image courtoisie Europe Media Nest

De multiples connexions se font entre les situations sans alambiquer l’histoire, lui donnant de l’épaisseur, de la complexité, tout en gardant des lignes narratives claires. L’intrigue, portée par ces deux histoires d’amour qui se rejoignent dans leur empêchement et composition tragique, ne verse jamais dans la schématisation, il n’y a pas de posture démonstrative de ce qui est bien et ce qui est mal, non pas d’un point de vue moral, lequel est clair, mais du point de vue de la praticabilité. Coincé entre les tenailles du régime iranien et celles des traditions tribales et ethniques de cette région frontalière, Abbas Amini montre plutôt les interstices dans lesquels Ahmed peut essayer de se faufiler, même si le plus microscopique souffle de liberté ne tarde jamais à se faire aspirer par la réalité.

Des deux côtés de la frontière, des mondes creusés dans la misère humaine, le lit des injustices dans lequel les Iranien∙nes et les Afghan∙nes se couchent avant de peut-être pouvoir se relever un jour, comme le font, depuis quelques mois et l’assassinat par la police des mœurs de Mahsa Amini, les Iranien∙nes avec un courage inouï.

De Abbas Amini; avec Pourya Rahimisam, Mino Sharif, Behafarid Ghaffarian, Hamed Alipour, Naser Sajjad Hosseini, Ghalem Sakhi Nazari, Latife Zousefi; Iran, République tchèque ; 2023 ; 113 minutes.

Malik Berkati

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