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It must be heaven, d’Elia Suleiman, distille de nombreux messages tout en finesse – il a remporté la mention spéciale du Jury et le Prix FIPRESCI à Cannes 2019

Dix ans après son dernier film, le cinéaste palestinien de Palestine, et non d’Israël comme il le rappelle dans son film, a présenté en compétition au dernier Festival de Cannes son dernier opus, It must be heaven. Cette fois-ci, il dirige son regard critique et politique en dehors de la Palestine pour réaliser que le monde est un microcosme de la Palestine où l’Etat absurde gagne du terrain et l’absurde devient prédominant.

It must be heaven d’Elia Suleiman
Image courtoisie Filmcoopi Zurich

Elia Suleiman – derrière et devant la caméra – vit dans une grande maison à Nazareth. On le voit exécuter des tâches quotidiennes – arroser ses plantes, boire son café, etc. Dans son appartement, la grande horloge doit être (fréquemment) remise à l’heure. Dans son appartement, il arrose régulièrement un petit oranger en pot. On distingue en arrière plan une chaise roulante et un déambulateur qui laissent supposer que le protagoniste a perdu un proche sans doute gravement malade.

Tous les matins, Elia Suleiman se met à son balcon et observe son voisin qui prend soin de ses citronniers en les arrosant et taillant les branches; il en prend tellement soin qu’il se sert copieusement de citrons sans demander l’autorisation à Elia Suleiman qui constate sans broncher le larcin. A Nazareth, il entend des bruits dans son jardin, se déplace sur le balcon, observe ce qui s’y déroule : le fils du voisin s’excuse ou ne s’excuse pas, cueille des citrons, coupe le citronnier, arrose le grand citronnier, puis le petit qu’a planté Suleiman. Peu lui importe car il va partir pour l’étranger pour assurer la promotion de son nouveau film … Que nous sommes en train de regarder !

Elia Suleiman se rend d’abord à Paris puis à New-York, mégalopoles où il croque avec une savoureuse vision et avec humour les clichés de chaque lieu et de chaque culture.

Elia Suleiman fuit la Palestine à la recherche d’une nouvelle terre d’accueil, avant de réaliser que son pays d’origine le suit toujours comme une ombre. La promesse d’une vie nouvelle se transforme vite en comédie de l’absurde. Aussi loin qu’il voyage, de Paris à New York, quelque chose lui rappelle sa patrie et les personnes qu’il rencontre lui rappelle ses origines tel un producteur parisien qui ne trouve pas son film « assez exotique et palestinien » ou un chauffeur de taxi new-yorkais lui offre la course car le cinéaste lui fait penser à « Karafat »…

Dès la séquence d’ouverture, un humour pince sans rire, ce film commence par une cérémonie religieuse chrétienne chantée, en arabe, avec une procession du crucifix vers les deux portes de la partie consacrée, que deux sacristains éméchés refusent d’ouvrir, comme le prévoit le cérémonial.

Le film se compose d’une succession d’une cinquantaine de  saynètes, d’abord à Nazareth, puis à Paris, à New-York et Montréal pour revenir à Nazareth. Chacune présente le personnage d’Elia Suleiman confronté avec un environnement surprenant qui retient toute son attention. Sauf dans de rares scènes d’extérieur, les rues des villes sont totalement vides, et l’apparition d’êtres vivants en est d’autant plus intrigante et burlesque, à la Keaton ou à la Tati.

Elia Suleiman, muet, s’exprime par le regard fixe sur l’interlocuteur, le plissement du front, éventuellement un déplacement du corps. La seule fois où il parle, c’est pour répondre à un chauffeur de taxi américain, soupçonneux, intrigué, peut-être inquiet, qui lui demande d’où il vient : « de Nazareth. […] Je suis Palestinien. Et le chauffeur, vite enthousiasmé, lui offre la course, et téléphone à sa femme : Devine… Je suis avec un Palestinien… Karafat… Jésus-Christ… »

La seule apparition silencieuse et perplexe de Suleiman force l’autre à parler, pour s’excuser, se justifier, questionner.

Un fil conducteur est la situation professionnelle et/ou artistique de Suleiman, cinéaste reconnu, cherchant des idées de scénario, proposant justement cette série de petites histoires à des producteurs, français (Vincent Maraval) ou nord-américains, et se voyant opposer des refus attendus : pas dans notre ligne, pas assez palestinien, […] ça pourrait tout aussi bien se passer ici… » même si son ami mexicain Gael García Bernal est venu le présenter à la production.

Le cinéaste part donc présenter son projet de film à la recherche de financements. Dans l’avion qui lui fait quitter le Proche-Orient, Suleiman voit par le hublot l’aile de l’avion s’assouplir dangereusement, alors que sévissent des perturbations.

It must be heaven d’Elia Suleiman
Image courtoisie Filmcoopi Zurich

Arrivé dans la Ville Lumière, Suleiman, assis à une terrasse, saisit les mouvements d’une vingtaine de mannequins à l’élégance si française : corps, visages, regards, minois, jambes sculpturales …
Suleiman, assis à une terrasse, est entouré d’une équipe de policiers municipaux (ou équivalents) mesurant la terrasse, avant vérification de conformité de l’autorisation et de l’installation.
Suleiman, de sa chambre d’hôtel, de jour, un jeune homme courir avec bruit dans la rue vide, balancer sous l’unique voiture en stationnement, un bouquet de roses rouges et disparaître (à droite). S’en suit la chorégraphie de trois policiers en mono-roue électrique autour de la voiture, et puis le trio, bredouille, s’en va, dans un délicieux accompagnement sonore (à gauche).
Suleiman, dans la rue, observe, un autre trio de policiers en patins à roulettes slalomer en beauté vers une ruelle, d’où sort peu après une femme en fauteuil roulant qui promène ainsi son chien.
Dans le métro, quelques scènes au passage du portillon, sur les quais avec des vigiles en face, avec le passager tatoué (Grégoire Colin).
Un véhicule de maraude du Service d’aide médicale urgente vient proposer comme dans un avion un plateau repas à un sans-abri affalé sur son bout de trottoir.
Devant le Palais de l’Élysée, défilent plusieurs chars à chenilles, comme pour une répétition du défilé du 14 juillet. Cela est confirmé par le passage ultérieur de la Patrouille de France.
Plusieurs fois, Suleiman, seul dans des rues vides, est surpris et gêné par le passage dans le ciel d’hélicoptères de surveillance. Le ciel parisien semble bien militarisé.

A New-York, après l’épisode du taxi, le cinéaste se rend dans un magasin asiatique pour y faire ses courses te constate que tout le monde porte une arme. Tous les clients, hommes, femmes, enfants, personnes âgées, circulent avec des armes automatiques (fusil-mitrailleur, et autres armes militaires…). D’un taxi sort un couple avec enfant. L’homme retire du coffre un bazooka (ou équivalent) et on est surpris de rire à la vision d’une mère de famille tenant son chérubin d’une main et une mitraillette de l’autre.
Dans Central Park, une jeune femme, dotée de deux ailes angéliques factices, est poursuivie, à pied, par cinq ou six policiers, sans que cela dérange trop les activités des personnes sur les pelouses.
Dans un bar oriental, un soir, un jeune homme se met à danser seul un air oriental, nostalgique. Un homme assis au bar aux côtés d’Elia Suleiman lui dit : « Tous les peuples boivent pour oublier mais vous les Palestiniens vous êtes les seuls qui boivent pour se rappeler. »
Infructueux pour le financement de son film et fort de on constat sur les similitudes de l’humanité avec sa terre, la Palestine, Elia Suleiman rentre chez lui. A l’aéroport, après le portique de détection, deux voyageurs sont orientés à droite, et le troisième, Suleiman, à gauche car l’alarme a retenti. L’agent de sécurité lui passe un détecteur de métaux portatif sur les parties du corps. Suleiman se prête au jeu, mais tourne un peu trop vite le corps, manque de renverser l’agent deux fois, lui emprunte son détecteur, et se livre à un époustouflant numéro de jonglage.

It must be heaven d’Elia Suleiman
Image courtoisie Filmcoopi Zurich

Dans It must be heaven, Elia Suleiman se mue sans prétention en observateur muet et étonné à la Buster Keaton qui analyse le monde par la lunette de la situation palestinienne, distillant un humour savoureux et subtil tout en dénonçant nombre de situations universelles. Dans ce conte burlesque explorant l’identité, la nationalité et l’appartenance, dans lequel Elia Suleiman pose une question fondamentale : où peut-on se sentir chez soi ?, le cinéaste y apporte des questionnements et laisse aux spectateurs d’y apporter leurs propres réponses.

La bande-son joue un rôle fondamental et est judicieusement amenée : citons quelques noms de chanteurs même si la liste est longue : Consuelo Velázquez, Leonard Cohen, Nina Simone, Yasmine Hamdan, Abdel Halim Hafez, Asmahar, Ravi Shankar et Philip Glass, Yuri Mrakadi, Nagat entre autres.

Au générique de fin  figure une dédicace:

à la Palestine, à John Berger, Humbert Balsan, à ma mère et à mon père.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

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