L’acteur français Jean-Louis Trintignant tire sa dernière révérence, laissant le théâtre comme le cinéma orphelins
Figure incontournable du cinéma et du théâtre français, Jean-Louis Trintignant est décédé ce vendredi 18 juin à l’âge de nonante-et-un ans chez lui, entouré de ses proches dont sa dernière femme, Marianne Hoepfner qu’il avait rencontrée alors qu’elle était jeune pilote en course automobile.
La voix si reconnaissable de Jean-Louis Trintignant
En cent-soixante rôles, Jean-Louis Trintignant a tourné et joué avec les plus grands noms du cinéma et du théâtre : Claude Lelouch, Roger Vadim, Patrice Chéreau, Erik Rohmer, Costa Gravas, Chabrol, Jacques Audiard, Michael Haneke, Robert Hossein, Gabor Rassov, Charles Dullin, Samuel Benchetrit, parmi tant d’autres.
Discret, énigmatique, taiseux, solitaire, magnétique, Jean-Louis Trintignant conservera toute sa vie sa part de mystère. Lors des rencontres avec la presse, le comédien se prêtait avec simplicité, authenticité et une élégance d’un autre temps à exercice des questions des journalistes, immédiatement envoûtés par son timbre de voix qui mettait immédiatement en confiance, distillant bienveillance et bonté.
Sa voix, au timbre si particulier, chaleureuse, caressante, douce mais surtout reconnaissable entre toutes offrait un phrasé impeccable si agréable aux tympans, laissant percevoir quelques pointes discrètes d’un accent du Midi. A sa voix s’ajoutait la présence magnétique, emprunte de mélancolie, de Jean-Louis Trintignant; ces deux atouts laissant deviner la grande humanité, voire un humanisme du comédien. Si la voix de Jean-Louis Trintignant a marqué le cinéma, elle a comblé les férus de théâtre par sa portée chatoyante sur les planches des scènes.
Carrière et prix
Etudiant en droit à Aix-en-Provence Jean-Louis Trintignant délaisse le droit pour le sixième art à dix-neuf ans, après avoir assisté à une représentation de L’Avare. Il monte à Paris pour suivre des cours d’art dramatique et de mise en scène. Il débute au théâtre avec A chacun selon sa faim.
Si on a vu Jean-Louis Trintignant jeune premier rivalisant avec Jean-Pierre Belmondo et Alain Delon, on se souvient que sa rencontre avec Brigitte Bardot sur Et Dieu créa la femme, rencontre provoquée par Roger Vadim, réalisateur du film et mari de la jeune actrice, connaîtra une animosité initiale qui finira par déboucher sur une grande histoire amour. La sortie du film sera accompagnée d’un parfum de scandale qu’entretiendront les journaux.
Mais Jean-Louis Trintignant entre dans l’histoire du cinéma avec Un homme et une femme de Claude Lelouch, Palme d’or à Cannes en 1966, film dans lequel il incarne un pilote automobile – la course automobile est l’une des passions qu’il nourrit, comme deux de ses oncles, il a été champion de course automobile – amoureux d’Anouk Aimée. Jean-Louis Trintignant, à l’instar de Michel Piccoli, a souvent incarné des personnages, réservés, discrets, introvertis, solitaires auxquels il donnait toute leur grandeur et leur prestance.
Dans Vivement dimanche, François Truffaut lui fait dire à Fanny Ardant :
« Je ne mets jamais en colère ! Je déteste la colère ! »
Dans cette réplique, si judicieusement attribuée à Jean-Louis Trintignant, le personnage rejoint l’acteur car, en effet, il impressionnait non seulement par sa bienveillance mais aussi ses colères froides. Jean-Louis Trintignant, qui était un grand timide, portait des masques comme tous les grands acteurs mais n’hésitait pas à changer son aspect comme dans Bunker Palace Hôtel, film pour lequel il a accepté, avec la malice d’un enfant, de se raser le crâne à la demande d’Enki Bilal.
Parmi les diverses distinctions du théâtre comme du cinéma, Jean-Louis Trintignant a remporté le prix d’interprétation sur la Croisette pour Z de Costa Gravas en 1969 et le César du meilleur acteur pour Amour de Michael Haneke en 2013. Lors de deux rencontres cannoises avec Jean-Louis Trintignant, dont pour le déchirant Amour de Michael Haneke, Palme d’or au Festival à Cannes, Jean-Louis Trintignant qui donnait toute l’émotion à cette histoire de couple au seuil de la mort, nous confiait :
« Il faut faire attention au confort dans la vie. J’aime tout casser et investir à nouveau en recommençant à zéro. Je me donne à mon métier quand je vis ma passion. »
Jean-Louis Trintignant commentait avec malice son rôle dans Amour :
« Je me préfère dans Happy end. Je me sens plus proche de ce type de Michael Haneke très vieux qui veut se suicider. Et puis, je m’entendais très bien avec ma partenaire, cette petite fille incroyable (Fantine Harduin) … Je veux cultiver les extrêmes : il faut être à la fois gentil et méchant, généreux et sordide; il faut étendre le plus possible as personnalité. Pour en revenir à Haneke, c’est vraiment quelqu’un de très gentil avec les acteurs. Un peu moins avec les techniciens. »
Les spectateurs du Théâtre lumière du Palais des Festivals se souviennent de la citation de Jacques Prévert que Jean-Louis Trintigant a choisi lors de la remise de la Palme d’or :
Je voudrais dire un petit poème de Prévert, très court… « Et si on essayait d’être heureux, ne serait-ce que pour donner exemple ! » Merci !
Prise de position pendant la Guerre d’Algérie
Sur le plan civique, Jean-Louis Trintignant était peu militant même si sympathisant de gauche. Mais il ne fait nul doute qu’il était un homme engagé sur de nombreuses questions et a mené des combats comme pendant la Guerre d’Algérie alors qu’il était un insoumis avant l’heure et risqué la prison. À l’époque, il a fait la Une des journaux en refusant de s’engager contre le FLN et la guerre d’indépendance. Il a été envoyé en Allemagne pour faire son service et l’armée le lui a fait payer rudement ses prises de position.
Les drames de sa vie et le décès de sa fille Marie
Raoul, son père, était chef d’entreprise et organisait un réseau de résistance mais un matin de mars 1943, son père, qui était venu chercher à manger, parvient à fuir. Les officiers arrêtent sa mère et l’incarcèrent à La Citadelle où elle noue une relation avec un officier italien, ce qui lui permet d’obtenir sa libération. Son père a toujours reproché à Jean-Louis d’être lâche ; il trouvait un refuge dans les livres qui nourrissaient sa fibre mélancolique.
La vie de Jean-Louis Trintignant a toujours été parsemée de drames. Alors que toute la famille Trintignant réside à Rome où Jean-Louis tourne dans un nouveau film, la nourrisse des enfants découvre la petite Pauline, âgée de dix mois, morte dans son berceau. Sa femme, Nadine, et lui tentent, en vain, de fuir les paparazzis.
Amoureux des beaux textes, il trouve dans la poésie du réconfort et du soutien. Marie et lui entretenaient une correspondance poétique. Ce trait d’union par le truchement de la poésie les amenait à enregistrer des poèmes déclamés qui remplaçaient les appels téléphoniques et débouchera sur un spectacle, Les poèmes à Lou, d’Apollinaire, que le duo père-fille présentera sur la scène du Théâtre L’Atelier.
Ce perfectionniste à la pudeur élégante était aussi un homme inquiet et réservé qui confiait avoir eu des tentations suicidaires :
« Je reconnais n’avoir jamais été très gai. Je ne me suis jamais remis de la mort de Marie. J’aurais pu arrêter ma vie à ce moment-là. »
Ce décès tragique n’a jamais cessé de le hanter, mais poussé par ses proches, il remonte sur scène, trouvant une sorte de thérapie à son deuil impossible dans la poésie et le théâtre. Jean-Louis Trintignant a toujours conservé une humilité sur son métier et malgré sa notoriété croissante. Il était conscient que le cinéma, mais surtout le théâtre, étaient ses planches de salut :
« Les planches, c’est mon vrai métier. On fait du cinéma un peu par vanité et pour ne plus être timide. Je trouve qu’acteur, c’est un métier très honorable. Je ne peux pas jouer un héros parce que je ne suis pas un personnage fort et brillant et je sais mes limites. Je n’ai jamais joué un personnage fort, crève-l’écran et je n’en jouerai jamais. Je peux avoir d’autres qualités plus discrètes, plus complexes. ».
Un étrange paradoxe pour un grand timide qui a choisi un métier d’images !
Les derniers défis
Jean-Louis Trintignant avait acheté une petite maison sur une île en Bretagne car il était profondément solitaire et voulait préserver sa famille. Il était à la fois présent et à distance, à l’instar de cette île : éloigné, discret, à l’écart des flashes des photographes. En septembre 2017, il déclare publiquement être atteint d’un cancer mais il refuse tous les traitements médicaux. En 2021, son ex-épouse Nadine Trintignant annonce que l’acteur perdait peu à peu la vue.
Fils et petit-fils de vigneron, Jean-Louis Trintignant vivait au château Beauchêne, à Piolenc, dans le Vaucluse où son père possédait quelques pieds. Dans cette région, Jean-Louis Trintignant, touche-à-tout. avait choisi de se lancer dans la viticulture, lui qui appréciait aussi bien les petites appellations que les grands Bordeaux. En 1996, Jean-Louis Trintigant avait voulu renouer avec la tradition familiale en s’associant à un couple d’amis vignerons coopérateurs et créent ensemble le domaine Rouge Garance dans les Côtes du Rhône.
Avis aux amateurs pour rendre hommage à cet immense humaniste et à ce grand comédien qui est parti rejoindre ses filles et de nombreux cinéastes qui l’ont dirigé au firmament des artistes !
Firouz E. Pillet
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