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Locarno 2021 Cineasti del presente : Wet Sand d’Elene Naveriani – Un film bouleversant sur les amours interdites en Géorgie

Cinéaste géorgienne qui a étudié à la Tbilisi’s State Academy of Art avant de passer son master à la HEAD de Genève, Elene Naveriani se définit comme gender fluid et préfère que l’on utilise le pronom non-binaire iel à son égard. Après I am Truly a Drop of Sun on Earth (2017) sur l’amour singulier entre une prostituée géorgienne et un sans-papier nigérian à Tbilissi, iel continue son travail de mise en lumière des opprimés de la société. Wet Sand est un véritable manifeste humaniste qui transcende la thématique LGBTIQ+, servi par de formidables actrices et acteurs, la photographie d’Agnesh Pakozdi, aux cadrages classiques, qui sublime les intérieurs sans âge ainsi que les paysages âpres des rivages de la mer Noire, et un design sonore sensationniste.

— Gia Agumava – Wet Sand
Image courtoisie Locarno Film festival

Un petit village balnéaire et de pêcheurs endormis sous le couvert d’une pandémie que l’on ne remarque pas à l’écran, mais qui marque l’époque dans laquelle on se trouve par les nouvelles à la télévision qui relatent le défilé de religieux pour la Journée de la famille, sans public pour cause sanitaire, qui avait été créée quelques années auparavant pour contrecarrer la Gay Pride. Tout est calme, les hommes se retrouvent au café Wet Sand d’Amnon (Gia Agumava) pour jouer et discuter. Cependant, dans les échanges banals, rapidement, on sent de la mesquinerie et une certaine animosité à peine voilée. Les choses vont prendre un tour plus agressif lorsque Eliko, un homme plus riche qui habite le village depuis 20 ans mais ne s’y est jamais intégré, est retrouvé pendu chez lui. À l’évidence, il s’est suicidé. Sa petite-fille, Moe (Bebe Sesitashvili), qui le croyait mort depuis des années, vient de Tbilissi pour l’enterrer. Première déconvenue : les villageois ne veulent pas l’enterrer dans le cimetière du village et, puisqu’il s’est suicidé, aucun office religieux n’est possible. Petit à petit, à la recherche d’éléments sur la vie de son grand-père, Moe va détisser le linceul de mensonges qui l’entoure à travers les seules personnes qui semblaient apprécier Eliko : Amnon, Spero (Kakha Kobaladze), un pêcheur solitaire qui attend le retour de son fils parti en mer depuis 10 ans,  et Fleshka (Megi Kobaladze), serveuse au café, elle aussi considérée comme étrange par les habitants du village. D’ailleurs, son espoir est de pouvoir vendre sa maison, ce qui par ces temps de crise financière et sanitaire est impossible, pour partir et suivre la maxime qui est inscrite sur le dos de sa veste :

« Suivez vos foutus rêves » (« Follow your fucking dreams »).

Wet Sand débute lentement, calmement, Elene Naveriani prend le temps de poser une atmosphère et d’y placer ses personnages. Petit à petit, le récit prend de l’épaisseur, à mesure que les caractères se dévoilent, certain.es prenant des atours stéréotypiques, ce qui n’enlève – malheureusement, serait-on tenté de dire – rien à leur réalisme, d’autres se dévoilant dans leur complexité. Moe va secouer le village, cette jeune femme de la ville, moderne, n’ayant pas sa langue dans sa poche, peu farouche, n’hésitera pas à s’opposer aux villageois, menés par un mari violent et rétrograde. Le déroulé des événements donne raison à la formule comportementale de régression de groupe ; le village va s’acharner, une fois le secret levé, autant sur les vivants que sur les morts. La bigoterie, l’hypocrisie le disputent aux préjugés, à la discrimination et la  violence de groupe d’autant plus perverse qu’elle coopte, dans un souci de reproduction sociale, les plus jeunes dans son infamie.

Wet Sand d’Elene Naveriani
Image courtoisie Locarno Film Festival

Dans ce tableau sombre d’une société contadine retranchée dans des zones d’obscurantisme – et qui ne se limite pas, loin de là, à la Géorgie – Elene Naveriani et son frère, co-scénariste, Sandro Naveriani, esquissent de beaux traits de lumière, à commencer par la jolie relation qui s’établit entre Amnon et Moe, s’approfondissant quand le jeune femme comprend la relation qui existait entre son grand-père et lui. Ou encore celle, encore moins simple, qui va se nouer entre Fleshka et Moe, hymne à la liberté de vivre et d’aimer. Elene et Sandro Naveriani marquent avec Wet Sand une double fracture générationnelle volontariste : ce qui était impossible à vivre au grand jour autrefois l’est à présent ; la reproduction sociale grégaire n’est pas une fatalité – le petit garçon que l’on a forcé à bouter le feu ne deviendra pas la même brute épaisse que son père, et ça, c’est une bonne nouvelle !

Gia Agumava a remporté le Pardo de la meilleure interprétation masculine de cette 74e édition du Festival international du film de Locarno dans la sélection Concorso cineasti del presente.

D’Elene Naveriani; avec Bebe Sesitashvili, Gia Agumava, Megi Kobaladze, Giorgi Tsereteli, Eka Chavleishvili, Zaal Goguadze, Kakha Kobaladze; Suisse, Géorgie ; 2021 ; 115 minutes.

Malik Berkati, Locarno

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Malik Berkati

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