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Maria, de Pablo Larraín, ou les derniers jours de La Callas, entre gloire passée et démons personnels

Le cinéaste chilien est coutumier des biopics, et semble particulièrement féru de destinées féminines dignes de tragédies grecques : on songe à Jackie (2016) sur la vie de Jackie Kennedy au moment de l’assassinat du Président JFK et Spencer (2021) sur le divorce de Charles III, alors prince de Galles, et de sa première épouse, la princesse Diana Spencer. S’il avait commencé à s’intéresser à la vie et à l’œuvre du poète chilien Pablo Neruda dans Neruda (2016), Maria conclut son « triptyque de femmes qui ont bouleversé le XXe siècle », selon les propos du cinéaste.

— Angelina Jolie – Maria
© Pablo Larraín

Pablo Larraín a découvert le mythe Callas et sa voix de Soprano quand il était enfant grâce à sa mère qui lui faisait écouter des disques de Maria Calas après l’avoir emmené à l’opéra de Santiago.

Maria se concentre sur la dernière semaine de la vie de la chanteuse. Le cinéaste chilien a fait ce choix narratif comme il estimait que Maria Callas avait chanté toute sa vie pour les autres, pour le public. Il souhaitait se consacrer à la fin de sa vie quand la cantatrice décide de chanter pour elle-même. Pablo Larrain souligne : « C’est un film sur quelqu’un qui tente de trouver sa propre voix et de comprendre son identité. C’est une célébration de sa vie. »

Bien qu’en proie à de nombreux démons, en particulier des médicaments consumés à outrance (Kodi Smit-McPhee incarne Mandrax, une substance dont la cantatrice ne peut plus se passer) et qui ont rudement entamé la voix de La Callas (Angelina Jolie) qui s’astreint à des vocalises pour lesquelles seuls son majordome Ferruccio Mezzadri (Pierfrancesco Favino, comme à l’accoutumée excellent) et sa gouvernante Bruna Lupoli (Alba Rohrwacher, tout aussi convaincante et méconnaissable physiquement) la complimentent. La musique joue un rôle fondamental et prépondérant dans le film. En effet, le choix de la musique est très important dans Maria puisque les morceaux orchestraux ou chantés interviennent à des moments précis du récit, comme si les tragédies dans lesquelles La Callas jouait sur scène étaient inextricables de ses propres drames. La bande-son, judicieusement élaborée, devient un protagoniste à part entière et porte littéralement le public qui peut communier avec La Callas alors qu’elle entre dans des moments de transe artistique. Les fidèles employés de maison passent leurs journées à devoir déplacer de pièce en pièce le fameux piano Steinway de la diva en fonction des lubies de cette dernière.

Un soin particulier a été apporté aux décors qui plongent le public dans la fin des années septante. Pablo Larraín recourt fréquemment à la caméra à l’épaule ainsi qu’à des objectifs plus larges pour souligner le rapport de la cantatrice avec l’espace dans lequel elle évolue. Par ailleurs, Edward Lachman, le directeur de la photographie, a travaillé sur les différentes teintes, allant des couleurs chaleureuses pour signifier son monde intérieur, aux couleurs plus froides, des bleus et des verts, pour symboliser l’extérieur. Parallèlement à cela, les séquences en noir et blanc ont été tournées avec des négatifs. Pour ce faire, le film a été tourné avec trois formats : 35 mm, 16 mm pour les images censées être celles tournées par l’équipe du documentaire, et du Super 8. Cette alternance nous permet de nous laisser emporter par cette reconstitution pleinement réussie et nous faire oublier qu’il ne s’agit pas de la véritable Callas ni de ses amants, mais le travail de ressemblance avec ces derniers est troublant d’authenticité. Plusieurs scènes de Maria montrent les personnages de JFK (Caspar Phillipson) et d’Aristote Onassis (Haluk Bilginer). Deux hommes de pouvoir qui ont été mariés avec Jackie Kennedy, devenue ensuite Jackie O’. Très étonnement, dans cette distribution internationale figure Vincent Macaigne en Docteur Fontainebleau !

Si Edward Lachman retrouve Edward Lachman avec lequel il avait déjà travaillé sur El Conde (Le Comte, 2023), il retrouve aussi le scénariste Steven Knight qu’il avait sollicité pour Spencer.

Quant à l’actrice principale pour incarner Maria Callas, le cinéaste a d’emblée songé à Angelina Jolie que l’on n’avait plus vue sur les grands écrans depuis 2021 avec Les Éternels de Chloe Zhao.
Pour se glisser sous les traits de la soprano, l’actrice américaine s’est préparée pendant sept mois avec plusieurs coachs pour apprendre l’italien, étudier l’histoire de l’opéra et surtout, pour apprendre à chanter. Le réalisateur mettait un point d’orgue à éviter tout playback sur le tournage. Des chanteurs d’opéra ont donc appris à la comédienne à adopter une bonne posture, à travailler sa respiration et à maîtriser son accent. Sur ce point, les résultats sont tangibles et la gestuelle de l’actrice très travaillée, avec le sens de la pose et l’amplitude des mouvements. Quant au travail sur la voix et le chant, la voix de lectrice a été mixée avec celle de Maria Callas.

Si Angelina Jolie a fourni un travail indéniable pour apprendre le chant lyrique, on soulignera surtout combien elle réussit à incarner la solitude et la déchéance de l’artiste, en montrant à quel point Maria Callas était une épave triste et désolée à la fin de sa vie stellaire. Le poids de la tristesse existentielle de Maria Callas est la note prédominante du film de Pablo Larraín qui fait vibrer cette morosité et cette affliction dans les décors baroques de son antre parisien.

L’esthétique particulière soigne les détails de la vie de la cantatrice, parcourant les lieux fréquentés par la Callas comme la Grèce, La Scala de Milan, le yacht d’Aristote Onassis. Si filmer dans son appartement, sis avenue Georges Mandel à Paris, n’était pas possible comme il a été vendu et largement rénové depuis la fin des années 1970, le cinéaste et son chef décorateur ont pu entrer dans son espace, observer les vues de Paris depuis les fenêtres de l’appartement et être dans la même pièce que la diva, en particulier dans son bureau où tant de ses interviews ont été filmées. C’est grâce à cette immersion sur les traces de la cantatrice que, dans un immeuble désaffecté, le tandem a pu faire reconstruire à l’identique l’appartement parisien de la cantatrice à Budapest.

À l’issue de la projection, on sort enthousiaste du soin apporté aux décors, aux costumes, au grain de l’image, à la photographie et on s’enthousiasme du jeu de toutes les comédiennes et de tous les comédiens mais on reste frustré par la prestation d’Angelina Jolie qui ne joue pas tant la diva de l’opéra Callas mais prend plutôt la pose pour en brosser le portrait. Devant l’immortelle soprano et son destin tragique, il ne semble pas y avoir de pouls vital dans cette prestation que nous sert l’actrice américaine si ce n’est dans des instants fugaces où Jolie parvient à tomber le masque de La Callas pour révéler l’être humain imparfait en dessous, dévoilant une femme terrifiée à l’idée d’être ignorée, laissée seule ou oubliée.

Avec ce triptyque, Pablo Larraín cherche à poser un regard émouvant, parfois effrayant, sur une diva au bord de l’oubli, en livrant un portrait aussi riche, mélancolique et émouvant que son sujet.

Bien qu’il y ait des croisements narratifs avec Jackie, le film n’a rien de la netteté du film qu’il a consacré à la Première Dame des États-Unis qui interrogeait les mythes, et il n’est pas non plus aussi audacieux que Spencer sur la princesse Diana.

Firouz Pillet

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