Mohamed Bida, l’homme modeste et discret qui a orchestré l’exfiltration de l’ambassade France en août 2021. Rencontre
Commandant divisionnaire honoraire de police, désormais à la retraite mais demeurant réserviste, le commandant de police français en poste à Kaboul de 2016 à 2021, a acquis le sens du devoir, de la solidarité et du service à la patrie au sein de sa famille puis à l’armée et à l’école de police. Ces valeurs l’ont amené à accomplir l’acte héroïque d’évacuer plus de 2800 personnes, dont 2600 Afghan·es pendant la prise de Kaboul par les Talibans.
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Son père, engagé dans l’armée française, est blessé durant la guerre d’Indochine (1940-1954). Puis il combat en tant que harki durant la guerre d’Algérie. La famille quitte la Kabylie alors que le petit Mohamed, né le 1er janvier 1962, n’a que six mois et s’installe à Roubaix où son père est ouvrier dans l’industrie textile. Ses huit frères et sœurs sont commerçants, enseignants ou font carrière dans le bâtiment.
Mohamed Bida travaille en intérim lorsqu’il rencontre, à dix-sept ans, sa future compagne. Son beau-père chimiste lui suggère d’intégrer la police. Il termine vingt-deuxième au concours d’entrée, entame une carrière dans les services et monte en grade dans la brigade anti-criminalité puis à la répression du grand banditisme à Versailles et à Lyon. Cette expérience sera un choc pour le commandant qui réalise qu’il est le seul policier d’origine maghrébine dans cette unité. Il travaille dans la garde rapprochée de personnalités et côtoie ainsi Lionel Jospin, Jean-Pierre Raffarin, Bill Clinton, Yasser Arafat et Benyamin Netanyahou.
Alors qu’il est sur le point d’accepter un poste au Vietnam, il devient grand-père. Sa femme ne supportant pas l’idée de ne voir leur petit-fils qu’une fois par an, le convainc de prendre un poste plus proche. C’est ainsi que Mohamed Bida est affecté en 2016 à l’ambassade de France en Afghanistan en qualité d’attaché de sécurité intérieure adjoint. Ce poste lui permet de rentrer en France une vingtaine de jours toutes les huit semaines. L’ambassade de France est située, comme toutes les ambassades occidentales, dans la Green Zone de la capitale afghane. À Kaboul, quand la menace des Talibans se fait de plus en plus redouter, le commandant Bida assure, avec un petit groupe de policiers du RAID, et en coordination avec l’ambassadeur David Martinon replié à l’aéroport, l’exfiltration de plusieurs centaines de personnes fuyant Kaboul lors de la prise de pouvoir par les talibans le 15 août 2021.
Les Afghan·es sont des milliers à fuir vers l’aéroport, tandis que d’autres tentent leur chance auprès de la dernière mission occidentale restée ouverte, l’ambassade de France. Seuls le commandant Mohamed Bida et dix policiers d’élite assurent encore la sécurité du site. Pris au piège avec cinq-cents personnes à évacuer, alors que les scènes d’apocalypse et de chaos se multiplient dans la capitale, ils redoutent la menace terroriste au sein même des murs de l’ambassade.
Le temps manque, les plans d’évacuation par hélicoptère échouent les uns après les autres et le commandant Bida doit se résoudre à négocier seul avec les Talibans et leur branche terroriste pour envisager un convoi de la dernière chance. Commencent alors 13 jours et 13 nuits sans sommeil pour ces policiers chevronnés, livrés à eux-mêmes, qui n’ont pas suffisamment de vivres pour la foule qui s’accroît au sein de l’ambassade et qui ne peuvent plus compter que sur leur courage et leur intelligence pour sauver ces hommes, ces femmes et ces enfants – les conduire vers la liberté, au péril de leur vie, jusqu’à l’aéroport où les attend une nouvelle mission plus éprouvante encore.
Ce sont des scènes d’horreur auxquelles le commandant et son équipe assistent : des femmes avec des enfants en bas âge et des nourrissons écrasé·es contre les grilles, suffoquant, des personnes enlisées dans le canal sceptique où les gens s’amassent. Un terroriste réussira à se mêler à la foule en proie à des bousculades et à des mouvements désordonnés : un attentat suicide a lieu le 26 août 2021 près d’Abbey Gate à l’aéroport de Kaboul faisant de nombreuses victimes dont des GI américains.
Au cours de ces 13 jours et 13 nuits, dans l’enfer de Kaboul (Ed. Denoël 2022), les policiers, diplomates et militaires de la mission française en Afghanistan ont sauvé 2 834 personnes.
Mohamed Bida est nommé au grade de commandant divisionnaire en 2019 et, bien que se consacrant à ses petits-enfants, il demeure réserviste.
Venu avec Martin Bourboulon et Roschdy Zem pour l’avant-première du film 13 jours, 13 nuits à Lausanne, le commandant Mohamed Bida nous a parlé de cette opération d’exfiltration hors norme qui a sauvé des milliers de personnes. Mohamed Bida a non seulement inspiré le film réalisé par Martin Bourboulon, mais aussi le personnage de Jonathan Zaccaï dans la série télévisée Kaboul (2025). Rencontre:
Firouz E. Pillet
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