Mostra 2017 : Ex Libris: New York Public Library, visite guidée par Frederick Wiseman
Le dernier né de Frederick Wiseman, Ex Libris: New York Public Library se distingue comme un exemple définitif de témoignage tant du style et de la mission de Frederick Wiseman.
Ex Libris , documentaire de 197 minutes consacré à la bibliothèque publique de New York est une fresque dédiée à l’une des institutions culturelles les plus célèbres au monde, un lieu de connaissance et d’apprentissage avec ses nonante-deux succursales situées à Manhattan , une ressource réelle pour tous les habitants de la Grande Pomme, une ville multiforme et cosmopolite. La New York Library est synonyme de la confiance américaine profonde dans le droit individuel à la connaissance et à l’information. C’est l’une des institutions les plus démocratiques d’Amérique où tout le monde est le bienvenu.
Nous avions rencontre Frederick Wiseman en mars 2014 pour son documentaire consacré à la National Gallery de Londres. A cette occasion, le cinéaste nous avait confié venir chaque année skier en Valais, à Leukerbad, depuis plus de quarante ans, tant il aimait la quiétude et la beauté des Alpes. A l’époque, il avait quatre-vingt-quatre ans mais semblait d’une vigueur digne d’un athlète olympique, au sens classique du terme. A aujourd’hui quatre-vingt-sept ans, Frederick Wiseman confirme qu’il est infatigable, ayant consacré plus de trois ans de sa vie à parcourir toutes les succursales et dépendances de cette institution.
Bien que Frederick Wiseman se défende de toute ambition sociologique, sa démarche se rapproche assez clairement des principes théoriques de base et des méthodes de la deuxième École de Chicago, singulièrement ceux d’Erving Goffman, qui animent en particulier son ouvrage La mise en scène de la vie quotidienne (1959, Minuit 1973). Les sociologues universitaires ne s’y trompent d’ailleurs pas, puisqu’ils utilisent couramment ses films dans leur enseignement.
En 2014, les cinéphiles découvraient National Gallery, une visite guidée de 174 min, sur la National Gallery de Londres. La portée et l’intérêt du film était universels ; avec ce documentaire sur la New York Public Library, l’ intérêt que peut susciter le film est clairement destiné aux Américains et non aux Européens, Asiatiques, Africains ou Sud-Américains.
Son ambition est de dresser un portrait critique des États-Unis, et, comme il le dira ensuite, le résultat est « un seul et très long film qui durerait quatre-vingts heures ». La plupart des films de Frederick Wiseman sont longs, mais très peu d’entre eux – peut-être aucun – sont trop longs. Il y a une bonne raison pour cela. En fait, il y a beaucoup de bonnes raisons pour cela, mais on a tendance à s’élever au-dessus du reste: l’ennui est fondamentalement antithétique à son travail. Vivisection cinématique des institutions américaines depuis 1967, Wiseman a pu susciter l’intérêt tout au long de nombreuses épopées documentaires comme À Berkeley et Belfast, Maine parce que son approche d’observation insiste sur le fait que ce drame est tissé dans le tissu de la vie quotidienne et parce que son instinct perspicace pour la narration non linéaire prouve ce point au-delà de toute ombre d’un doute. Ses meilleurs films encadrent la réalité d’une manière qui nous permet de la visualiser plus clairement à travers sa caméra que nous ne pouvons à l’œil nu.
Ici, la caméra de Frederick Wiseman alterne des gros plans sur le noms des rues pour indiquer aux spectateurs dans quelle annexe de la bibliothèque il nous entraine avec des conférences sur l’intégration des Juifs hassidiques par le biais des Délis, sur la peinture, sur l’intégration des communautés noires par la lecture, diverses thématiques toutes captivantes. On suit aussi les lecteurs en quête d’archives, consultant des journaux du siècle dernier ou de très jeunes enfants venus apprendre tout en s’amusant, une moyen ludique pour leurs maitresses d’école de passer la matière.
Là où le film de Wiseman devient trop nord-américain pour un public international, c’est quand il filme des soirées lors desquelles des pompiers ou des militaires viennent faire la promotion de leur corps de métier afin de susciter de nouvelles vocations. Malgré sa volonté de témoigner d’une certaine réalité bigarre, Wiseman n’atteint pas ici ses objectifs et son documentaire ne correspond pas toujours à ceux annoncés dans le titre de son sujet. A moins que la bibliothèque public de New-York soit une sorte de cour des miracles ? On lui posera la question cet hiver quand il viendra dévaler les pentes valaisannes.
Firouz E. Pillet de la Mostra 2017, Lido
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