Mostra 2019 : Gloria Mundi, de Robert Guédiguian, en concours avec une tragédie grecque des temps modernes
Le film s’ouvre sur une scène, en gros plan, des jambes écartées d’une mère en plein travail, vues depuis sa tête : les mains de l’infirmière empoigne un nouveau-né, encore attaché à son cordon ombilical et le pose sur la poitrine de la parturiente.
Scène suivante : dans une maternité de Marseille, une famille se réunit pour la naissance de la petite Gloria. Malgré la joie, les jeunes parents, Mathilda (Anaïs Demoustier) et Nicolas (Robinson Stévenin), certes heureux parents, vivent des temps difficiles. Alors qu’ils luttent pour sortir de cette situation financière difficile, ils retrouvent le grand-père de Gloria, un ancien prisonnier.
En effet, Daniel Ortega (Gérard Meylan) vient de sortir de prison, à Rennes, où il était incarcéré depuis de longues années et retourne à Marseille. Sylvie (Ariane Ascaride) , son ex-femme, l’a prévenu qu’il était grand-père : leur fille Mathilda vient de donner naissance à une petite Gloria.
Les divers protagonistes de ce qui s’apparente à une tragédie grecque moderne se retrouvent réunis : le temps a passé, chacun a fait ou refait sa vie… Ariane est en couple avec Richard (Jean-Pierre Darroussin) qui a élevé Mathilda comme sa propre fille; Sylvie et lui ont eu une autre fille, Aurore (Lola Naymark) qui est en couple avec Bruno (Grégoire Leprince-Ringuiet), un séducteur invétéré qui multiplie les conquêtes féminines, dont sa belle-soeur, à l’insu de tous.
En venant à la rencontre du bébé, Daniel découvre une famille recomposée qui lutte par tous les moyens pour rester debout, unie dans l’adversité.
Daniel découvre rapidement que sa famille est accablée par de graves problèmes économiques : Mathilda est assistante commerciale en probation et son mari Nicolas est un chauffeur privé qui, un soir, est agressé par un chauffeur de taxi, qui le considère comme un concurrent déloyal et lui casse le bras. A ce stade, Daniel fait tout ce qu’il peut pour aider ses proches. Le choix stylistique du réalisateur est infaillible pour raconter des histoires similaires tout en variant subtilement la forme.
Quand un coup du sort fait voler en éclats ce fragile équilibre, Daniel, qui n’a plus rien à perdre, va tout tenter pour les aider.
Dans une tragédie grecque classique, le héros, en l’occurence ici, l’héroïne du titre devrait être sacrifiée. Mais dans un ultime pied-de-nez au sort qui s’acharne, le grand-père, à peine libéré, choisit de se sacrifier dans un acte d’altruisme et d’abnégation pour offrir une chance à cette famille et à sa petite-fille qui vient à peine de voir le jour.
Après avoir goûté aux joies de la liberté retrouvée pendant quelques jours – se baigner dans l’eau glacée le Vieux-Port de Marseille, prendre le bus simplement pour revoir la ville, se promener à la Cannebière – Daniel scelle son destin afin de sauver les siens.
Gloria Mundi a été très applaudi lors de la projection de presse : un tout grand Guédiguian sur fond de musique d’opéra.
Robert Guédiguain, d’une extrême fidélité à sa famille d’acteurs, écrit toujours, ou presque, pour le même groupe d’acteurs, ayant créé, au fil de ses réalisations, l’équivalent cinématographique d’une troupe de théâtre très soudée. Nouvelle venue cette fois-ci : Anaïs Demoustier.
Après La Villa, présentée à Venise en 2017, où Guédiguian mettait en scène le retour de deux frères et d’une sœur dans la maison où ils sont nés pour aider leur père victime d’une attaque, les liens familiaux de Gloria Mundi sont aussi la pierre angulaire de l’histoire dans ce nouvel opus, sur fond de crise économique où les petites gens sont écrasées par le système qui profite aux nantis.
Si le titre annoncé dans le site de la Biennale est Gloria Mundi, lors de la projection, apparaît sur l’écran Sic transit gloria mundi, soit une expression latine dont le sens est “ainsi passe la gloire du monde” ; la phrase vient d’un passage de l’ouvrage Imitatio Christi : O quam cito transito gloria mundi (dont la traduction est Oh, comme passe vite la gloire de ce monde ndlr.), ce qui apporte une complément crucial à l’histoire.
Robert Guédiguian, qui a co-écrit le scénario avec Serge Valletti, s’est exprimé au sujet de Gloria Mundi :
Paraphraser Marx : partout où il règne, le néocapitalisme a écrasé les relations fraternelles, amicales et solidaires, et n’a laissé aucun autre lien entre les gens que l’intérêt froid et l’argent, noyant tous nos rêves dans les eaux glacées du calcul égoïste. C’est ce que ce conte social cruel veut démontrer à travers l’histoire d’une famille reconstruite, aussi fragile qu’un château de cartes. J’ai toujours pensé que le cinéma devait nous émouvoir, parfois en nous donnant un exemple du monde tel qu’il pourrait être, parfois en nous montrant le monde tel qu’il est. Bref, nous avons besoin à la fois de comédies et de tragédies pour continuer à remettre en question notre mode de vie. Et nous devons continuer à nous interroger plus que jamais en ces temps difficiles, afin de ne pas succomber à l’illusion qu’il y a quelque chose de naturel dans les sociétés où nous vivons.
La sous-signée pourra en savoir plus sur Gloria Mundi lors de la venue de Robert Guédiguian en Suisse, le cinéaste était toujours très généréux lors des entretiens.
Firouz E. Pillet, Venise
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