Mostra 2022 : Argentina 85, de Santiago Mitre, concourant pour le Lion d’or, retrace les enquêtes de Julio Strassera et Luis Moreno Ocampo
Argentine, 1985 s’inspire de la véritable histoire des procureurs Julio Strassera et Luis Moreno Ocampo, qui, en 1985, ont osé enquêter et poursuivre les responsables de la phase la plus sanglante de la dictature militaire argentine. Sans se laisser intimider par l’influence encore considérable de l’armée sur leur fragile et nouvelle démocratie, Strassera et Moreno Ocampo ont formé une jeune équipe juridique de héros improbables pour mener leur bataille digne de David contre Goliath. Constamment menacés, avec leurs familles, ils ont mené une course contre-la-montre pour rendre justice aux victimes de la junte militaire.
Santiago Mitre, bien qu’enfant à l’époque, se souvient de ce procès :
« Je me souviens encore du jour où Strassera a formulé l’acte d’accusation : le rugissement de la salle d’audience, l’émotion de mes parents, les rues enfin capables de célébrer quelque chose qui n’était pas un match de football, l’idée de la justice comme acte de guérison. Le procès de 1985 a permis à la justice argentine de reconnaître et de réclamer un droit longtemps nié. Au cours de mes recherches, je suis tombé sur des aspects inconnus de l’histoire : le parcours des procureurs, la jeune équipe sans expérience, la région encore sous la dictature. Cette histoire m’a profondément touchée, déclenchant en moi l’envie de faire un film sur la justice et d’approfondir la recherche cinématographique et politique comme je ne l’avais jamais fait dans mes précédents films, cette fois basés sur des faits réels. »
Ricardo Darín tient le rôle principal dans cette production d’Amazon qui relate les étapes du procès contre la dictature. Le cinéaste et l’acteur ont déjà travaillé à plusieurs reprises ensemble et le public se souvient de films comme El Presidente (2017) ou La Cordillera (2017), parfaits exemples de l’exemple symbiose qui unit les deux artistes.
Sans détour nilangue de bois, Argentina 85 relate ce chapitre sombre de l’histoire contemporaine de l’Argentine en pointant qui a fait le coup d’État et qui a torturé. Cette période sombre et terrible de l’Argentine demeure un chapitre clef dans la transition de ce pays de la dictature à la démocratie d’aujourd’hui.
Le film rend un bel hommage à la volonté et la pugnacité des procureurs Julio Strassera et Luis Moreno Ocampo qui ont poursuivi avec vaillance, et malgré les intimidations, voire les menaces, le dictateur Jorge Videla et les soldats qui ont construit et entretenu la dictature argentine. Comme d’accoutumée, Ricardo Darín est d’une telle justesse de jeu, qu’on en vient à oublier qu’il s’agit d’un acteur.
« Ce film sur le procès des juntes militaires montre qu’à un moment donné, l’histoire vous oblige à mettre les choses sur la table », a expliqué Ricardo Darín dans une interview à l’agence hispanophone Agencia EFE. Selon l’acteur, ce film va avoir « une répercussion importante en Espagne » : « Nous savons tous qu’il y a une dette impayée de la société, mais il y a aussi beaucoup de douleur pour tant de folies qui se sont produites entre frères, entre compatriotes, qui sont des sujets très difficiles à régler. »
Argentina 85 met en lumière les étapes nécessaires pour permettre à la démocratie d’émerger et démontre l’importance du devoir de mémoire et de justice pour permettre une possible réconciliation. Une étape nécessaire qui manque à de nombreux pays, à commencer par l’Espagne, où la transition n’a pas poursuivi un seul membre de la dictature et où les victimes sont, dans la grande majorité, toujours dans les fossés, à de rares exceptions.
La Coppa Volpi di Venezia 79 semble déjà lui être destinée, selon de nombreux critiques et de nombreux festivaliers. Ricardo Darin a su faire mouche à l’unanimité et était indubitablement le meilleur ambassadeur pour ce film politique qui réussit à susciter de nombreuses émotions avec justesse : rires, tristesse, colère, indignation.
Pour celles et ceux qui l’auraient oublié, trois ans après la chute de la dictature militaire à Buenos Aires, ce procès rendit la junte responsable de plus de trente mille victimes et disparus devant un tribunal civil.
On ne peut que souhaiter le Lion d’or à Santiago Mitre !
Firouz E. Pillet, Venise
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