Mostra 2022 : Les Enfants des autres, de Rebecca Zlotowski, présenté en compétition officielle, dissèque la place de la belle-mère, offrant un magnifique rôle à Virginie Efira
Rachel (Virginie Efira), quadragénaire, sans enfant, enseigne le français dans un lycée professionnel. Elle aime sa vie et la croque à pleines dents : elle se voue à ses élèves du lycée, se consacre à ses amis, accorde du temps à son ex-compagnon, donne des cours de guitare. C’est parmi ses élèves de guitares qu’elle rencontre Ali (Roschdy Zem) dont elle tombe éperdument amoureuse et auquel elle s’attache aussitôt. Mais Rachel s’attache aussi à Leila, sa fille de quatre ans, qu’elle tenait à rencontrer. Elle la borde, la soigne, et l’aime comme la sienne. Mais aimer les enfants des autres, c’est un risque à prendre… Leila est une fillette qui, comme tout enfant en bas âge, ne ménage pas Rachel en réclamant sans cesse sa maman, Alice (Chiara Mastroianni), alors que Rachel fait tout pour se faire accepter et aimer par la petite fille.
Avant de trouver l’inspiration pour ce scénario, Rebecca Zlotowski a d’abord songé à l’adaptation d’un roman de Romain Gary, Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable, consacré à l’impuissance d’un homme à l’aube de ses soixante ans. La réalisatrice et scénariste peinait à donner vie à cet homme angoissé par l’absence de bandaison et cette difficulté dans l’écriture l’a progressivement amenée à sa propre impuissance, celle d’une femme de quarante ans sans enfants, qui en désire et se retrouve à élever celui d’une autre. C’est ainsi que dans Les Enfants des autres, Rebecca Zlotowskia fait la part belle au personnage de la belle-mère, qui prend ici le rôle principal, alors que dans la majeure partie des films, la belle-mère est souvent un personnage relégué au second plan.
Avec Les Enfants des autres, Rebecca Zlotowski réussit à développer avec justesse et une multitude de nuances une situation peu racontée et peu vue au cinéma. Au fil des rencontres entre Rachel et la fille de son compagnon se tissent des liens, d’abord en proie à des incompréhensions, puis mus par un attachement fort et tendre. Dépeignant par touches progressives, délicates, subtiles, les diverses étapes de l’acceptation de l’une comme de l’autre, elle offre une magnifique illustration de ce lien d’amour entre deux êtres qui partage le même homme, père pour l’une et compagnon pour l’autre.
Si l’inconscient collectif conserve l’image de la terrible marâtre, héritée des contes de fées d’une part et de l’autre, celle de la belle-mère débordée, des familles recomposées des comédies romantiques et des séries télévisées, Rebecca Zlotowski s’est questionnée sur ce rôle et ce statut si particulier ; elle a voulu lui donner suffisamment d’étoffe pour offrir à une actrice un rôle de choix, en l’occurrence Virginie Efira, qui est de tous les plans, solaire et radieuse. Face à elle, la cinéaste a développé un nouveau modèle de masculinité avec le personnage d’Ali, un homme moderne, avec une grande part de féminité, mais qui finit par céder à l‘appel du schéma classique, par peur, par conformisme ou simplement par sécurité. Rassurez-vous ! Rebecca Zlotowski ne nous impose pas un « feel-good-movie » et sait montrer, avec pudeur, les moments de doutes ou de tristesse de sa protagoniste. Elle explique ses intentions :
« J’ai voulu écrire le film de ce personnage secondaire du récit qu’est d’ordinaire la belle-mère. Il s’agissait de faire triompher un cinéma de personnage secondaire et mettre en valeur une autre grille d’émotions : l’amitié entre hommes et femmes, la tendresse entre femmes, le dépit davantage que la trahison, la mélancolie des rendez-vous ratés avec l’existence, mais aussi l’excitation des rendez-vous réussis avec le désir, l’érotisme, la joie consolatrice. Les amours de transition, ceux qu’on vit entre deux grandes histoires, et que les Américains appellent les « rebonds. La rebond girl, le rebond boy. »
Pour écrire ce scénario, la réalisatrice s’est beaucoup nourrie de films américains comme L’Usure du temps, d’Alan Parker, Kramer contre Kramer, Une femme libre. Ces films sur des expériences somme toute communes et banales lui ont permis d’apporter une simplicité classique dans l’élaboration des sentiments et la description des relations qui se tissent, se défont, se tissent à nouveau pour mieux se défaire.
Rebecca Zlotowski a eu le flair de confier le rôle de Rachel à Virginie Efira, toujours impeccable et juste dans son jeu, au charisme qui irradie telle une clef de sol mise en valeur par le reste de la distribution, notes blanches ou noires qui apportent leur tonalité à l’ensemble. Mentionnons Victor Lefebvre dans le rôle du jeune lycéen Dylan, un jeune premier à suivre, mais aussi Anne Berest dans le rôle de Jean, une amie d’Alice, Sébastien Pouderoux dans le rôle de Paul, l’ex-compagnon de Rachel, Henri-Noël Tabary dans le rôle de son collègue Vincent, Yamée Couture dans le rôle de Louana, la sœur de Rachel et Michel Zlotowski, son père. Les cinéphiles reconnaîtront avec joie Frederick Wiseman dans le rôle du gynécologue de famille, le Dr Wiseman ! Un plaisir de voir le documentariste américain devant la caméra dans ce rôle qu’il incarne avec malice !
Firouz E. Pillet, Venise
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