Cannes 2017: Sergio Castellitto présente Fortunata, l’une de ses œuvres les plus réussies
Fortunata ou la tragédie d’une femme (brillamment interprétée par Jasmine Trinca) est la splendide chronique de la vie de tous les jours, en l’occurrence celle de Fortunata, jeune femme en instance de divorce, maman d’une fillette de huit ans, Barbara. Tentant de survivre en tant que coiffeuse à domicile, espérant ouvrir un salon, constamment persécutée et menacée par son ex-mari violent mais policier, Fortunata se démène quotidiennement, conservant sons sens de l’humour et sa fougue.
Le sixième film de Sergio Castellitto se deroule dans le quartier romain Torpignattara, un quartier métissé culturellement et peint ici dans des couleurs fortes et ensoleillées. Montrant au plus près le contexte dans lequel vivent les protagonistes de l’histoire – qui est bien réelle et reconnaissable parmi les petits moments de la vie quotidienne que la caméra de Sergio Castellitto croque avec justesse, peuplée de personnages à la fois improbable, romanesques mais aussi impitoyable.
Il est question ici d’une Roma méconnue, ignorée, bien éloignée des cartes postales et dévoilée en toute transparence par Castellitto qui intègre, son l’histoire principale, à travers des pauses narratives et visuelles, une cour d’écoliers chinois en plein activité, une usurière chinoise, une femme vêtue d’une burqa qui amène Barbara à se poser certaines questions existentielles.
L’histoire de Fortunata parle autant du brassage culturel de Rome que d’une femme, rebelle et combattive, avec un sombre secret et aux prises avec la vie: l’argent ne suffit jamais, un ex-mari qui continue à abuser psychologiquement et physiquement d’elle, son meilleur ami qui est fragile psychiquement. Dans la cadre de la procédure de divorce, sa fille est suivie par un psychologue, qui invoque sans cesse septembre et la rentrée scolaire, synonyme de la fin des problèmes.
Jasmine Trinca, dans le rôle de la protagoniste, parvient immédiatement à incarner ce personnage passionné, astucieusement construit: la pousse des cheveux sur le tatouage incomplet, tous les détails de Fortunata (peu importe que ce soit physique ou de caractère, d’ailleurs les deux aspects se confondent au point de ne pas pouvoir les distinguer concrètement). La construction du personnage est conçue à la perfection, et que cette perfection adhère à l’interprétation de l’actrice.
Pour ne pas être en reste, tous les acteurs, magnifiquement dirigés par Castellitto, sont poignants de véracité, de la petite et talentueuse Nicole Centanni (Barbara) à Edoardo Pesce dans le rôle de l’ex-mari violent, Alessandro Borghi, étoile montante dans le rôle du Chicano, meilleur ami et semblable à Fortunata. Stefano Accorsi, plus modéré qu habituellement, offre une prestation troublante de nuances.
L’évolution du récit les rend de plus en plus sombres malgré les touches comiques comme l’obsession pour les numéros du loto jusqu’au mythe d’Antigone, que la mère du Chicano, ancienne actrice de théâtre qui souffre d’Alzheimer, sèment des touches d’humour tout au long du film, réussissant à arracher les spectateurs un véritable éclat de rire malgré une finalité tangible qui fera sombrer les personnages l’un après l’autre dans la tragédie.
En fait, la tragédie d’Antigone, emprisonnée dans une grotte et forcée de se tuer pour éviter une mort atroce et lente, est une métaphore de la vue de Fortunata, coincée dans un rythme quotidien défini par une avalanche de problèmes qui semblent impossibles à résoudre mais les similitudes s’arrêtent là.
Si Fortunata va suivre ici le même sort qu’Antigone, c’est la preuve tangible que Sergio Castellitto reconstitue à merveille à travers son sa mise en scène ; sa direction d’acteurs et sa photographie est une tragédie moderne, réelle et actuelle, dans laquelle de nombreux spectateurs pourront pour s’identifier, dans les moments heureux comme malheureux.
Firouz Pillet, Cannes
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