Vous ne désirez que moi, de Claire Simon, dévoile la dernière relation de Marguerite Duras, entre passion, domination et destruction – Rencontre (audio)
Compagnon de Marguerite Duras depuis deux ans, Yann Andréa, qui a trente-huit ans de moins qu’elle, éprouve le besoin de parler, de se confier sur sa relation passionnelle avec l’écrivaine qui ne lui laisse plus aucune liberté. Il ressent un impérieux besoin de mettre des mots sur ce qui l’enchante et le torture. Il demande à une amie journaliste, Michèle Manceaux, journaliste et écrivain, complice et voisine de Marguerite, de l’interviewer pour y voir plus clair. Ils se retrouvent au premier étage de la maison de Neauphle et la première phrase de Yann est « je voudrais parler de Duras ».
Au fil des rencontre et des enregistrements sur cassettes, Yann Andréa va décrire, avec lucidité et sincérité, la complexité de son histoire, leur amour, des exigences charnelles de l’auteure, des injonctions auxquelles il est soumis, « celles que les femmes endurent depuis des millénaires » souligne la réalisatrice.
Étonnement, l’autrice de L’Amant ou du Ravissement de Lol V. Stein est quasiment omniprésente dans le film, et pourtant, toujours absente de l’écran, sauf une courte exception par le truchement d’images d’archives.
Vous ne désirez que moi est le premier film de fiction de la réalisatrice française Claire Simon depuis Gare du Nord il y a huit ans. La réalisatrice a depuis signé des documentaires très remarqués tels que Le Bois dont les rêves sont faits ou Le Concours. Son nouveau long métrage, présenté en compétition à San Sebastian, s’inscrit pleinement dans le réel comme il s’agit d’une adaptation du livre des entretiens de Yann Andréa avec la journaliste Michèle Manceaux, intitulé Je voudrais parler de Duras, ouvrage dans lequel Yann Andréa s’entretient et se confie avec la journaliste, paru une première fois en 2016 chez Fayard et réédité en 2022 chez Pauvert.
Dans le traitement choisi par Claire Simon Simon émergent une théâtralité et une mise en scène épurée avec un plan-séquence unique de ces entretiens. Claire Simon a opté pour cette forme, ce qui donne une impression de véracité et d’authenticité. La présence de Marguerite Duras se fait pourtant sentir par des insertions d’images d’archives et quelques sonneries de téléphone… Des appels auxquels Yann Andréa ne répond pas, soulignant le contrôle incessant de Marguerite Duras sur ses faits et gestes, ici, en l’occurrence, sur sa parole. Ces entretiens entre ces deux personnages, incarnés par Swann Arlaud et Emmanuelle Devos, sont mis en scène de manière minimaliste, ce qui permet aux deux interprètes d’exceller, jouant sur les regards, les pauses, l’attitude, et apportant tous les deux des reliefs bienvenus à l’ensemble de ces échanges.
Connaître l’œuvre de Marguerite Duras n’est absolument pas nécessaire pour apprécier le film de Claire Simon. Si vous ne désirez que moi souligne le caractère autoritaire, voire tyrannique, de cette femme âgée qui domine et dirige ce jeune homme, homosexuel mais dont elle condamne l’homosexualité, et qui est tombé amoureux de l’œuvre et de l’écriture de Marguerite Duras qui en a fait l’une de ses créations, lui imposant de changer de nom de famille. Même hors cadre, Marguerite Duras est omniprésente à travers les confidences de Yann Andréa qui, au fil des entretiens, fait preuve d’une immense lucidité sur leur relation et sur la nature intrinsèque de Marguerite Duras :
« Elle est habituée aux boys comme à l’époque où elle vivait au Vietnam. »
Le racisme et l’homophobie extrême de Marguerite Duras sont montrés sans concession et les spectateurs comprennent peu à peu que l’écrivaine a voulu faire de son jeune amant un étrange personnage fictif, malléable à souhait, allant jusqu’à lui dicter ce qu’il a le droit de manger. Claire Simon réussit à immerger ses spectateurs au cœur de ces entretiens, les plaçant aux premières loges en observateurs. Le pari narratif semblait osé mais est une parfaite réussite.
Entretien téléphonique avec Claire Simon:
Sur les écrans romands depuis ce mercredi 30 mars 2022.
Firouz E. Pillet
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