ZFF2018 – Shéhérazade de Jean-Bernard Marlin : de l’amour dans un monde de délinquance
Marseille, quartier chaud de la prostitution et du trafic de drogue, Zach vient de sortir de prison, doit gagner de l’argent et tombe amoureux. Mais comme c’est un petit dur, il n’est – du moins au début – pas question d’amour mais de relation vache.
Ce qui rend ce film si empoignant est cette sensation d’authenticité qui, au début, désarçonne un peu le spectateur : est-ce une forme documentaire ou une fiction ? Petit à petit, sans perdre de cette impression de réalité, on entre dans la vie mis en scène et sublimée par le cinéma de Zach et Shéhérazade. Car ces deux personnages sont interprétés par des acteurs qui eux-mêmes sont issus de ces quartiers et vies difficiles, Dylan Robert ayant connu la prison et Kenza Fortas la vie en foyer, et l’histoire se base sur un fait divers qui a eu lieu en 2013 dans la cité phocéenne.
Le film devrait s’appeler Zach, car sans aucun doute, c’est son histoire que l’on raconte. Ce petit voyou au grand cœur dont l’origine est habillement non définie par Jean-Bernard Marlin, ce qui permet d’évacuer rapidement les causes déterministes pour se concentrer sur l’essentielle, les causes structurelles touchant à la misère sociale et au système d’éducation et d’accompagnement défaillant, se met à dos tout le monde : sa mère, son ancien gang, son éducatrice… il ne peut compter que sur lui-même pour s’en sortir. Et Shéhérazade, à la fois son amour et sa prostitué. Car Zach va se reconvertir en souteneur et entrer dans une histoire brouillée entre pureté juvénile des sentiments et sordidité des fluides corporels de tous genres qui s’écoulent dans les cages d’escaliers. Le monde est tel qu’il est, pour certains facile et ensoleillé, pour d’autres un chemin de croix sous une tempête incessante et bien sûr, et il n’est pas donné à toutes et tous d’avoir mille et une nuits pour se figurer comment vivre une vie paisible. À chaque coin de rue, à chaque instant, le danger guette et l’histoire de Zach et Shéhérazade va plutôt se transformer en tragédie avec son lot de trahisons et de jalousies plutôt qu’en conte providentiel.
Ces jeunes gens sont des enfants qui n’ont jamais eu d’enfance. Ils vivent dans un monde d’adultes qui veulent tout sauf leur bien. Zach et Shéhérazade ont vu et vécu des choses dont la plupart des gens ne font l’expérience qu’en lisant les faits divers ou à la télé, au cinéma. Ils ont développé un sens inimaginable de survie qui leur prend une telle énergie que le plus simple semble, in fine, de reproduire la noirceur du monde dans lequel ils sont plongés, les tentatives de le rendre plus joli ne tenant jamais très longtemps.
Même si le tissu de ce film est tendu sur beaucoup de réalité, il y a également du cinéma qui transpire de ses pores, principalement grâce à la caméra au plus près des corps, gommant ainsi l’environnement et le rendant universel – effet annulé par le langage et l’accent des protagonistes recentrant donc précisément l’action dans un territoire –, dans une lumière saturée qui donne un aspect à la fois féérique et inquiétant à la nuit avec ses néons ou phares de voitures qui transpercent l’écran et attirent le spectateur dans ce monde interlope.
Et la fin ? On ne la racontera bien sûr pas. Ce n’est cependant pas divulgâcher que de dire que l’envolée tragique de ces deux adolescents se terminera dans un lit de roses. Est-ce que pour autant cela est synonyme de drame insurpassable ? À chacun.e de se faire son idée en quittant la salle de cinéma sur l’avenir possible de ces minots et minotes des quartiers nord de Marseille.
De Jean-Bernard Marlin ; avec Dylan Robert, Kenza Fortas, Idir Azougli, Lisa Amedjout, Kader Benchoudar ; France ; 2018 ; 111 minutes.
Malik Berkati, Zurich
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