ZFF2019 – Bruno Manser, La voix de la forêt tropicale : un film de fiction consacrée à Bruno Manser et réalisé par Niklaus Hilber a ouvert le Zurich Film Festival 2019
Bruno Manser – La voix de la forêt tropicale (Die Stimme des Regenwaldes), de Niklaus Hilber, a été projeté en ouverture du 15ème Zurich Film Festival. C’est l’un des films les plus attendus et chers de l’histoire du cinéma suisse et le résultat est à la hauteur des attentes du public.
Disparu en mai 2000 en Malaisie, déclaré officiellement mort le 10 mars 2005, cet activiste écologiste suisse a dirigé toutes les caméras du monde et attiré tous les journalistes dans la forte tropicale malaisienne pour rendre la destruction de l’habitat des tribus aborigènes mondialement connue. De 1984 à 1990, il vit parmi le peuple Penan au Sarawak, où il s’oppose aux entreprises d’exploitation forestière en organisant plusieurs barrages routiers. En 1990, menacé de mort, il doit quitter la Malaisie. De retour en Suisse, il s’investit dans l’activisme pour la préservation des forêts tropicales et pour les droits humains des peuples autochtones, en particulier des Penan. Il fonde l’ONG suisse Bruno Manser Fonds en 1991. Il disparaît au cours de son dernier voyage au Sarawak en 2000.
Séquence d’ouverture : Malaisie 1984. Amené en pirogue à moteur par un batelier qui lui demande si il est certain de vouloir rester au coeur de cette forêt tropicale, un jeune homme (Sven Schelker), lunettes et sac à dos tel un routard, acquiesce.
Il s’agit certes d’un film de fiction dans lequel Niklaus Hilber a choisi de suivre toutes les étapes de la destinée extraordinaire de Bruno Manser et retrace les temps forts de son combat.
Le plan suivant dévoile la nuit tombée sur le campement de fortune de Bruno Manser : un animal rugit dans la pénombre, on croit que Bruno Manser va sortir une torche voire une arme … Il sort de son sac une flûte traditionnelle et se met à en jouer, ce qui apaise instantanément l’animal terré dans l’obscurité.
S’ensuit une impressionnante scène vertigineuse quand Bruno Manser arrive au bas d’une cascade qui rappelle le Salto del Angel, au Vénézuela, puis se jette dans un lac où il se rafraîchit puis commence l’escalade abrupte, sur ces pierres glissantes où les jets d’eau ne cessent de tomber et ruisselle. Le contexte tropical est si tangible que l’on sent, en tant que spectateur, la moiteur et la torpeur qui règnent sous ses latitudes. Quand il parvient, victorieux, au sommet de la paroi rocheuse où tombent bruyamment les trombes d’eau, et après avoir hurlé sa joie, au sommet, le silence fait place au brouhaha de la cascade.
Après des jours de périple dans cette nature hostile et tortueuse, il découvre enfin un village d’autochtones, vêtus de simples pagnes : les enfants rient, les parents s’activent, les flammes du feu sont prêtent à accueillir les plats à chauffer. Depuis un massif, il observe, fasciné mais il est repéré; il écrit à ses parents, à Bâle : « Après une année de préparation, je les les ai enfin trouvés : les Penan. Si vous pouviez me voir maintenant, père et mère, il n’y aurait plus de préjugés dans vos cœurs. »
Soudain, une flûte résonne dans l’obscurité. Bruno sort la sienne et l’accompagne puis les deux flûtistes se répondent. Il décide de planter sa tente près de ces autochtones qui paraissent bienveillants et tolérants. A son réveil, il sort de sa tente et découvre le village vide, abandonné par ses habitants. Il retrouve leurs traces et se met à les suivre à distance, sans imposer sa présence. Il s’assoupit puis est réveillé d’une sieste, par les rires d’un singe qui lui a pris une chaussure. En sautillant à cloche-pied, il va vers les villageois et récupère sa chaussure la brandissant, ce qui amuse tous les villageois. L’apprivoisement réciproque est en train d’opérer.
On image que dans les séquences suivantes, une part importante de fiction supplée à ce qu’on aurait aimé entendre de la bouche de Bruno Manser mais le récit fonctionne et les spectateurs croient progressivement visionner un biopic. Le film retrace fidèlement les étapes de son périple tout en le concentrant en deux heures de film : un exercice ardu mais réussi qui aurait pu être d’ailleurs un brin moins long.
En 1988, un journaliste, David Kse Carter-Long du Bornéo Times suit depuis des semaines le combat pacifique mené par Bruno Manser sur la radio de la police. Il débarque en pleine jungle pour rencontrer l’activiste suisse-allemand et ses protégés. Bruno leur explique : « Il raconte notre histoire au monde entier et en a pris des photos. »
David Kse Carter-Long dit à Bruno : « Vous avez l’air très déterminé, j’aime cela mais le gouvernement ne veut peut-être pas négocier. Ces compagnies forestières sont là pour chasser ces tribus autochtones. Je peux vous donner quelques tuyaux du gouvernement, j’admire ce que vous faites, tout le monde doit l’entendre. »
Suite à l’article de David Kse Carter-Long, les journalistes et les télévisions débarquent : « Même s’ils s’opposent à la volonté de l’état, ils n’ont aucune intention de faire du mal. Manser a réuni quarante-sept tribus dans une convention Penan pour défendre leurs droits sur ces terres où ils vivent depuis mille ans.»
Le film monter la déferlante des journalistes et des médias du monde entier : la chaîne de télévision Malaysia Today diffuse : « Cet homme extraordinaire qui donne une voix à ceux qui ne seraient autrement pas entendus. Nous espérons établir un territoire autonome, a déclaré Bruno Manser. »
Bruno Manser souligne que la quête des Penan est la recherche de l’authenticité : « Les Penan sont des nomades, ils ne possèdent que ce qu’ils peuvent porter. Ils n’ont ni désirs ni besoins. Pour être heureux, ils ont juste besoin d’un estomac plein et d’un environnement paisible. »
David Kse Carter-Long souligne un point important : « Les problèmes ont commencé avec la sédentarisation et les droits de propriété. »
Un jour, Bruno lit les journaux à sa tribu mais le journaliste arrive en courant : « Ta tête est mise à prix, mort ou vivant. Ils offrent 50 000 dollars.» Bruno ne perd pas son sang froid : « J’irai dans la jungle car elle est mon amie. »
1989: Bruno vit depuis quatre mois dans la jungle avec peur seule compagnie un singe avec qui il parle malaisien. Parfois, il reçoit la visite des chefs des diverses tribus. Son ami journaliste David Kse Carter-Long lui amène un journal : « Les machines sont à l’arrêt depuis quatre mois, mais il n’y a rien de nouveau. Ils ne bougent pas. »
Le souci du détail et de la véracité est omniprésent dans le film : Bruno chasse au javelot dans une rivière et y voit flotter un gobelet en plastique en remontant le cours. Il est pris en chasse mais échappe à ses assaillants en se camouflant avec des feuillages mais est mordu par un serpent, il commence à divaguer. On quitte Bruno, en vue aérienne, au bout de ses forces couché dans la rivière et on le retrouve allongé, avec une silhouette qui s’approche au loin comme dans un rêve son amoureuse a rêvé qu’il avait besoin d’elle. Après une nuit d’amour avec son amoureuse Penan qui lui explique que Dieu a donné un nom à chaque créature pour qu’elle trouve l’amour sauf le serpent, Buno retrouve son ami journaliste qui lui annonce que sa rebellions est considérée comme un acte terroriste par le gouvernement.
Le film relate avec fidélité le parcours de vie exceptionnel de Bruno Manser, depuis 1984 où le jeune Bâlois, alors à la recherche d’une expérience plus profonde que la superficialité de la civilisation moderne, voyage dans les jungles de Bornéo et la retrouve avec la tribu nomade des Penan. Cette fiction souligne combien cette rencontre a changé sa vie pour toujours. Lorsque l’existence des Penan est menacée par une déforestation incessante, Manser s’engage dans la lutte contre l’exploitation forestière avec un courage et une détermination qui font de lui l’un des environnementalistes les plus renommés et les plus crédibles de son temps.
Le film a été tourné en septante-six jours en Suisse, à New York, Budapest et Bornéo – on se doute bien que le tournage n’était pas bien vu en Malaisie. Dans le cadre d’une opération de grande envergure, l’équipe s’est rendue dans les derniers vestiges de la jungle primaire de Bornéo, dans des endroits isolés. Les acteurs autochtones ont été choisis parmi le peuple Penan d’origine, qui poursuit encore aujourd’hui sa lutte. La bande sonore a été composée par Gabriel Yared (The English Patient), lauréat d’un Academy Award.
Faudrait-il un Bruno Manser au Brésil pour venir en aide aux tribus autochtones et sauver le maigre territoire qu’il leur reste ?
Firouz E. Pillet
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