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107 Mothers (Cenzorka) de Péter Kerekes remporte le Prix du meilleur film au 31e FilmFestival Cottbus – Une immersion humaniste dans une prison ukrainienne

La 31e édition du festival des cinémas est-européens de Cottbus a présenté, pour son retour physique dans le circuit des festivals, une programmation qui, à nouveau, fait honneur à sa réputation d’excellence dans sa curation de films – mélange d’œuvres d’auteurs et de productions grand public – qui balaie largement l’horizon des genres cinématographiques, des cultures et des thèmes de société. Dans la compétition des long-métrages, 107 Mothers (Cenzorka) du cinéaste slovaque Péter Kerekes, a remporté le Prix du meilleur film. C’est la seconde distinction majeure pour le film, déjà honoré à la Mostra de Venise 2021 dans la section Orizzonti dans laquelle le réalisateur et son co-scénariste Ivan Ostrochovský ont remporté le Prix du meilleur scénario.

— Maryna Klimova – 107 Mothers (Cenzorka)
© Films Boutique

Que Péter Kerekes, documentariste multi-primé (66 sezón [66 Seasons], 2003; Cooking History, 2009; Zamatoví teroristi [Velvet Terrorists], 2013) ait remporté le Prix du meilleur scénario à Venise est une reconnaissance majeure du fait que la colonne vertébrale d’un film tient sur sa finesse d’écriture, surtout lorsque le sujet est basé sur une réalité. Combien de biopics, de films historiques ou, comme on a pu le voir à Cottbus avec le film russe d’Alexander Hant In Limbo, lui aussi basé sur un fait réel, peuvent s’écraser brutalement sur le béton de la vraisemblance ? Car oui, aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, partir de la réalité pour créer un film de fiction est une entreprise très complexe qui demande un grand doigté narratif pour trouver l’équilibre entre ce qui existe et les éléments fictionnels qui lient l’ensemble de l’œuvre et son intention. Ivan Ostrochovský et Péter Kerekes ont évité tous les pièges de la perspective démonstrative pour faire confiance au public parfaitement capable de ressentir et de se faire sa propre idée sur la situation à l’écran.

Nous sommes en Ukraine, à Odessa. Lesya (Maryna Klimova ) a assassiné par jalousie son compagnon, ce qui lui vaut une peine de sept ans de privation de liberté dans l’une des prisons pour femmes de la ville. La scène d’ouverture, est celle de son accouchement. Kerekes n’y va pas par quatre chemins – une vague de sursauts a traversé la salle lors de la projection publique –, il filme en gros plan la sortie de l’enfant du ventre de sa mère. Rapidement on repère au fond du plan une femme étrangère au monde hospitalier puisqu’elle porte un uniforme de l’administration pénitentiaire, Iryna, qui observe la scène avec un doux sourire sur le visage et dans les yeux. Elle dirige la section des mères de la prison et, quand les deux femmes rentrent à l’établissement pénitentiaire, c’est elle qui va expliquer les règles qui s’appliquent dorénavant à Lesya. Très vite, on comprend que l’histoire que nous raconte Kerekes n’est pas celle exclusive des prisonnières, des enfants ou des employées de la prison mais celle de toutes ces personnes qui vivent en communauté derrière les barreaux, quel que soit le type de l’uniforme qu’elles portent – détenues, gardiennes, infirmières, travailleuses sociales.

— Iryna Kiryazeva – 107 Mothers (Cenzorka)
© Films Boutique

Petit à petit, nous faisons connaissance des détenues, de tous âges, veuves, épouses, filles, sœurs, mères avec enfant en dehors de la prison et/ou en prison, enceintes. Dans le bureau d’Iryna, elles racontent des bribes de leur destin. C’est à travers ses yeux que nous regardons ce petit monde fonctionner. C’est elle qui explique aux femmes qui ont leurs enfants en prison ce qu’il va arriver une fois qu’ils fêteront leurs 3 ans : si la liberté conditionnelle est refusée, l’enfant ira soit dans la famille des parents soit dans un orphelinat. Malgré l’insistance d’Iryna dès le retour de la maternité pour prendre contact avec sa famille – « les trois ans sont vite passés » –, Lesya reste très rétive à cette idée.
Iryna est une personne secrète qui semble parfois vivre par procuration à travers les détenues dont elle connaît tout, de leur dossier à leurs lettres qu’elle lit ou les conversations des parloirs qu’elle écoute, en passant par leurs confidences; elle garde une certaine distance avec la vie chorégraphiée autour d’elle, tout en étant parfaitement présente lorsqu’il s’agit de les secouer, les réprimander ou les guider dans les arcanes de leur détention ou de leur éventuelle libération. Elle est un peu comme une mère supérieure dans cet environnement, sévère et pointilleuse sur le respect et les formes de civilité, empathique et attachée au bien-être des détenues.

Avec très peu de mots, beaucoup de sensibilité visuelle, de tact dans la direction des actrices, de moments d’humour (particulièrement les rencontres entre Iryna et sa mère, ou cette scène où les bébés sont amenés en groupe sur un chariot aux mères qui vont allaiter à la chaîne), un double regard qui nous guide – celui d’Iryna et celui de Lesya –, le réalisateur slovaque réussit à nous faire entrer sans aucun pathos dans un monde nourrit par des drames, la solitude mais aussi de petites étincelles de bonheur. Il provoque une sensation d’étrangeté, de fascination pour un univers méconnu, sans jamais donner un sentiment de voyeurisme, au contraire, de manière inexplicable, on se sent à l’aise au milieu de ces femmes. Les scènes les plus poignantes sont celles de l’anniversaire des trois ans des enfants. Elles sont traitées avec une telle délicatesse par Kerekes, sans aucun artifice, que le cœur le plus endurcit ne peut que se serrer face à ces séparations qui ne concernent pas seulement les mères et leurs enfants, mais également les enfants entre eux, qui grandissent comme dans une grande fratrie et se retrouvent, d’un instant à l’autre, sans comprendre pourquoi, sans leur ami.e  de jeu.

Le titre slovaque Cenzorka n’a rien à voir avec le titre international, 107 Mothers. Péter Kerekes s’en explique :

Je n’ai jamais eu l’intention de faire un film en prison. Au départ, je voulais faire un documentaire sur la censure et une partie avait trait à la prison. J’ai donc visité cette prison à Odessa et c’est là que j’ai vu pour la première fois la colonelle Iryna. Très vite, je me suis dit que je devais faire un film autour de ce qu’elle incarne. On a rencontré un grand nombre de ces mères pour écrire notre histoire, on leur a emprunté un bout d’histoire, une phrase, une attitude et je trouve ce titre international plus juste vis-à-vis d’elles. Pour la Slovaquie on a gardé le titre qui a trait à la censure car c’était le titre de travail pendant les 5 ans qu’a duré le projet.

Iryna joue donc son propre rôle ?!

Oui ! Et la plupart des rôles sont joués par les prisonnières qui parlent réellement de leurs vies lors des entretiens avec Iryna dans le film. En réalité, elles me parlaient à moi car il était plus facile pour elles de confier leur intimité, Iryna restant tout de même « leur cheffe ». Le rôle de Lesya est joué par une actrice professionnelle car ce personnage était mon regard d’entrée dans la prison et je ne pouvais pas risquer de perdre mon personnage si la vraie Lesya était libérée ou transférée.

Qu’est-ce qui a attiré votre intérêt pour Iryna ?

Quand on l’a rencontrée pour la première fois, elle nous montrait la prison ; pendant ce tour, elle discutait avec les prisonnières et elle était différente avec chacune d’elles. Elle avait une manière de communiquer ambivalente, elle était très douce puis tout à coup, avec une autre très stricte. Pour moi, elle fait partie de ces 107 mères. Elle organise leurs vies et la sienne est dédiée à cette tâche. Elle se consacre vraiment à ce travail, par exemple nous étions à Venise pour la Première et trois jours après avoir été sur le tapis rouge, elle est repartie à Odessa, a enfilé son uniforme et a effectué son service de 12 heures ! Elle était très intéressée par le processus de réalisation et elle a exprimé un vœu pour la fin du film que je n’imaginais pas comme cela. On a filmé cette scène de fin pour la voir heureuse, et elle l’était. Sans elle, ce film n’existerait pas, je n’aurais moi-même pas osé filmer une telle histoire, Iryna m’en a offert la possibilité.

Les détenues ont-elles pu voir le film ?

Durant le montage, la prison a fermé et les détenues ont été dispersées dans toute l’Ukraine. On n’a donc pas pu leur montrer le film et nous le regrettons énormément, car si ce film existe, ce n’est que par elles. Nous espérons cependant pouvoir faire une tournée avec le film dans les prisons ukrainiennes.

A-t-il été difficile de tourner dans une prison ukrainienne ?

En réalité, c’est dans l’Union européenne qu’il est difficile de filmer, avec toutes les contraintes et autorisations, c’est quasiment mission impossible ! C’est pourquoi nous sommes allés en Ukraine faire des recherches : c’est proche géographiquement et culturellement de la Slovaquie, je parle russe. Après trois jours sur place, nous avons décidé d’oublier l’UE et de tourner en Ukraine. Pour être honnête, on a beaucoup plus de liberté en filmant dans une prison à Odessa que dans les rues de Paris ou Berlin ! Dès que l’on a eu l’autorisation de l’administration ukrainienne, on a pu faire ce que l’on voulait, car pour eux, notre projet était une fiction.

Les enfants sont-ils aussi les vrais enfants des détenues ?

Les deux petits qui ont les rôles principaux proviennent d’une agence de casting mais les autres sont les enfants des prisonnières. C’est cruel de dire cela, mais pour ces enfants, la meilleure partie de leur enfance est peut-être ces trois premières années derrière les barreaux car dehors, le monde est très dur envers eux. Quand les familles ne veulent pas les accueillir, ce qui arrive souvent, ils doivent aller à l’orphelinat. C’est très douloureux, car même si légalement ils ont le droit de rendre visite à leurs mères, qui va s’occuper de les emmener par exemple de Kiev à Odessa ? Le lien est très souvent rompu entre les mères et leurs enfants.

De Péter Kerekes; avec Iryna Kiryazeva, Maryna Klimova, Lyubov Vasylyna; Slovaquie, République tchèque, Ukraine 2021; 93 minutes.

Malik Berkati, Cottbus

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Malik Berkati

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