A l’affiche à l’Espace Fusterie – Genève: Les émigrés, de Slawomir Mrozek
Par Djenana Mujadzic, Paris
[édité par MaB et actualisé pour la Suisse]
Le théâtre comme arme de résistance
Dramaturge et écrivain polonais Slawomir Mrozek est mort à Nice en août 2013. Réfugié politique, il s’était installé en France dans les années 1970. Traditionnellement, en Pologne, le théâtre a très longtemps été un acte majeur de résistance envers le tutorat imposé par « le grand frère russe » durant plusieurs décennies. L’artiste né en 1930 à Borzecin près du Cracovie avait une seule arme pour s’opposer à l’idéologie soviétique : l’ironie et un sens aigu de l’absurde qu’il savait utiliser à la perfection pour exprimer son désir de liberté etson esprit critique.
Les Émigrés (Albin Michel, 1975) est l’un de ses plus célèbres drames et a été adapté dans le monde entier en plusieurs langues. La pièce était à l’affiche du théâtre parisien de la Reine Blanche au début du mois de mars et la pièce, actuellement à l’affiche Marseille, est présentée simultanément en Suisse dans une autre mise en scène et distribution par La Compagnie virgule.
L’acteur et metteur en scène Imer Kutllovci, assisté de Ridvan Mjaku, ainsi que sa femme Fanny avec qui il a fondé la troupe théâtrale La Compagnie de l’Etoile – avec laquelle depuis trois ans il présente des œuvres classiques et contemporaines du répertoire français – en a fait la mise en scène française.
Nous sommes tous émigrés
Sa mise en scène des Émigrés a attiré un public très différent et toujours plus nombreux, au Théâtre de la Reine Blanche avec dans les rôles-titres Gregori Manoukov, qui a joué entre autres dans Triple Agent d’Eric Rohmer ou Le silence de Lorna des frères Dardenne et son ami et complice Mirza Halilovic.
La réussite de ce projet tient certainement dans le fait que la compagnie a modernisé le texte de Mrozek au regard de la situation actuelle où la problématique des réfugiés, dans toute sa complexité, se repose.
Deux hommes fêtent le réveillon dans la cave d’un immeuble bourgeois. L’intellectuel et l’ouvrier n’ont rien en commun que cet endroit sordide et la frustration des rêves inaccomplis. Chacun dans son monde clos, ils n’arrivent pas à communiquer. L’alcool fait le reste et leurs vérités cachés se montrent dans deux terribles monologues, habités par l’absurde et l’incompréhension. Appelés AA et XX, ils sont venus d’un pays hypothétique ou le retour est impossible. Pourtant ils en rêvent chacun à sa manière. L’intellectuel adopte la politique de l’autruche et au lieu d’agir se cache dans ses livres. Son attitude hautaine se perd dans ses propres incertitudes, bien détectés et saisies par l’ouvrier à que Mirza Hlilovic incarne avec une malice attachante. Il veut rentrer chez lui et vivre avec sa femme et ses enfants, dans une maison qu’il ne construira jamais. Il garde son épargne dans un jouet d’enfant tout en étant conscient de la gravité de sa maladie causée par le dur labeur et les mauvaises conditions d’existence. Mais toutes ces raisons ne les empêchent pas de désirer et espérer un autre ailleurs, tout en sachant que rien ne sera comme ils envisagent. Leurs explications et suggestions nous font vite comprendre que nous sommes tous conditionnés par notre éphémère passage sur terre. La position d’émigré est celle de notre condition!
Djenana Mujadzic, Paris
[édité par MaB et actualisé pour la Suisse]
Genève, Espace Fusterie du 14 au 18 mars 2016 et du 11 au 19 juin 2016.
De Slawomir Mrozek; mise en scène Jacques Maitre; avec Jacques Maitre, Vincent Jacquet et Nicolas Fortini.
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