Amra and the Second Marriage : une satire féroce de la classe moyenne saoudienne
Second film du réalisateur saoudien Mahmoud Sabbag (Barakah Meets Barakah, 2016), cette comédie noire et amère entre de plain-pied dans le genre de la satire et lui permet de mordre à pleines dents le ridicule d’une société arc-boutée sur les apparences, le qu’en-dira-t-on et régie par les superstitions et le matérialisme.
Cependant, pas d’angélisme du côté du réalisateur : tout le monde en prend pour son grade. Les imams rétrogrades et vénaux qui font leur beurre plus sur la superstition des gens que sur leur foi, les hommes lâches et hypocrites, mais aussi les femmes, jalouses, médisantes et méchantes à côté du rôle cliché mais non dénué d’une bonne part de réalité de la belle-mère cerbère de la lignée et de l’honneur de son fils, comme celui des filles d’Amra ingrates et égoïstes en passant par Amra elle-même, pétrie dans ses contradictions et enfermée dans les cloisons de sa vision de la vie.
Amra, une femme au foyer de 44 ans, découvre que son mari qui prend sa retraite envisage d’épouser une seconde femme plus jeune, poussé en cela par sa mère qui veut que la nouvelle épouse lui donne un fils. Amra est totalement déboussolée, elle qui ne vit visiblement pas une vie heureuse mais qui au moins a un foyer et sa routine quotidienne. Ce second mariage est le grain de sable qui vient faire dérailler ce semblant de normalité et les préparatifs qui l’entourent, devenant collectif et surtout l’occasion pour tout le voisinage de se mêler de l’affaire, l’accroc qui va implacablement détricoter la vie d’Amra et de ses filles.
Les filles d’Amra proposent d’ailleurs l’idée de modernité qui frappe aux portes du Royaume, l’une s’émancipant en fumant des joints avec des amis et voulant à tout prix conduire, la plus jeune, qui fréquente une école internationale, cherchant le salut dans l’apprentissage du piano et se décrétant végétarienne puis vegan. Mais cette modernité n’est pas célébrée comme le graal ultime puisqu’elle porte en elle, ici comme partout, ses biais et failles individualistes et consuméristes façon miroir aux alouettes. Pour la jeune génération pendue, comme partout aux téléphones portables, ainsi que pour celles des parents et grands-parents, beaucoup de règles à suivre dans des vies vidées de sens.
D’ailleurs dans Amra and the Second Marriage tout tourne autour de l’argent, en avoir ou pas, en avoir plus et s’acheter une liberté, une femme pour un fils, un avenir, un sèche-cheveux ou de l’eau sacrée, peu importe, l’enjeu principal du quotidien, chez les religieux comme les séculiers, c’est l’argent.
Mahmoud Sabbag nous rappelle que la comédie n’empêche pas le cinéma – ce que nombre de cinéastes adeptes du genre en France ou en Allemagne semblent oublier – et la caméra qui balaie de ses focales les déboires d’Amra nous offre de très beaux plans et cadres enrobés dans un jeu de couleurs, de lumières et d’ombres tendu sur les tissus, les ouvertures, les murs, les miroirs, travaillés dans un montage qui ne s’encombre pas de superflu. La mise en scène très suggestive épouse le propos comme les mondes intérieurs que ce soit dans les prises intra-muros ou dans les absurdités extérieures comme les visites chez l’imam ou le juriste spécialiste de la charia ainsi que l’hôpital qui revient deux fois avec, quelle que soit la gravité des choses, le médecin traitant qui n’entreprend rien s’il n’y a pas un « gardien » masculin pour signer les autorisations. Le fil de l’histoire est très rythmé, souligné par un habillage musical qui rappelle les films à suspense, ce qu’il est par ailleurs car le réalisateur rend très bien cette quête par petites touches d’Amra que l’on suit sans en savoir plus qu’elle sur le déroulé et le dénouement des événements.
« Sortir la tête du sable dans le royaume du sable »
Amra, dans sa détresse, cherche par tous les moyens à trouver des solutions à sa situation. L’une d’entre elles est de regarder des vidéos d’une coach sur internet (qu’il faut également payer pour avoir des messages personnalisés) qui l’encourage à se libérer, relever la tête et « make Amra great again ! ». Ce petit épisode loufoque ne l’est pas tant que cela, jouant sur le revers de ce que certains individus perdus vont chercher sur le web pour trouver du sens, avec des mots et formules toutes simples mais très efficaces qui permettent de reprendre consistance dans une vie qui leur échappe.
Film très plaisant à regarder, avec pour seul bémol le jeu un peu trop appuyé de certaines actrices, principalement le personnage de la belle-mère, Alshaima’a Tayeb en revanche est absolument parfaite dans le rôle d’Amra, oscillant en permanence sur une ligne très ténu entre soumission, peur de sortir d’un déterminisme millénaire, et résistance, voire rébellion, tiraillée, ballotée et perdue entre tout.e.s les intervenant.e.s qui ne cessent de vouloir la conseiller : les amies progressistes ou associations de défense de femmes à s’émanciper et se libérer du joug du patriarcat ; les cheikhs, les voisines et la belle-mère de se soumettre aux lois ancestrales ; la confidente de lancer des contre-sorts… Cette hypotypose de la classe moyenne saoudienne met en avant le rôle des femmes qui, pour le meilleur ou le pire, font le quotidien de cette société, les hommes restant en retrait, au mieux en soutien lointain, au pire en dépositaire des traditions et conventions, pour la plupart, simplement faibles ou suiveurs.
Et ce qui ne gâche rien : une fin très ouverte, très belle car non-directive, sans aucune tentation moralisatrice.
De Mahmoud Sabbagh ; avec Alshaima’a Tayeb, Khairia Nazmi, Um Kalthom Sara, Turki Al Jallal, Sara Alshamik, Saleh Al Bashbishi, Eisha Farhan, Waad Khayami, Zizi Alhariri, Shaimaa El Fadul, Mohammed Alhamdan ; Arabie Saoudite ; 2018 ; 96 minutes.
À voir à Berlin au festival ALFILM le 4 avril (City Kino Wedding) et le 5 avril (Wolf Kino) 2019
Malik Berkati
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