Avignon OFF 2018: Mirad, un garçon de Bosnie, du dramaturge hollandais Ad de Bont – Rencontre avec le metteur en scène Christophe Laluque
Écrite durant la dernière guerre balkanique, au début des années 1990, la pièce a été montré une vingtaine de fois aux Pays Bas, en Allemagne et même à Oxford ou le très célèbre comédien britannique oscarisé Jeremy Irons a interprété le rôle d’oncle Djuka, un journaliste bosnien, exilé en France. Par la suite l’acteur a réalisé le téléfilm du même titre.
Après Grégoire Ingold, Sarah Maton, Stanislas Nordey, Gilles Lefeuvre et de nombreux autres metteurs en scène, Christophe Laluque directeur de L’Amin, le théâtre de Grigny (Essonne), a présenté le drame du Néerlandais Ad de Bont Mirad un garçon de Bosnie au théâtre parisien Dunois au début du mois avant l’avant-première avignonaise aura lieu le 19 juin au Théâtre Artéphile.
Traduit en plusieurs langues, le drame a été publié en France aux Éditions de l’Arche.
Mirad c’est théâtre de la réalité
Caractérisé comme le parfait exemple du théâtre documentaire, le drame suit un adolescent de 14 ans qui a vu mourir son père et sa sœur et s’enfuit de Foca, une ville du nord-est de la Bosnie-Herzégovine. Le diptyque est d’abord raconté par l’oncle Djuka et sa femme Fazila, une Croate mariée à Sarajevo. Exilés en France, ils cherchent le reste de famille en espérant trouver des survivants. Au même moment Mirad arrive en France mais retourne vite en Bosnie, pour venger son père musulman bosnien, tué par des paramilitaires serbes. En arrivant à Foca, il voit sa mère Vérica, Serbe elle aussi, étendre du linge de bébé car elle a été violée par les mêmes paramilitaires, en tant qu’épouse d’un Bosniaque.
En racontant l’histoire d’une famille ordinaire de la province bosnienne, le dramaturge hollandais Ad de Bon prévient : elle peut devenir le destin de chacun de nous!
Né en 1949 de Bon a dû déménager au nord des Pays-Bas dans une région si différente de son sud adoré, qu’il en est resté marqué toute sa vie. Il connaît le chamboulement existentiel et le mal de sa terre natale. D’abord instituteur, il est devenu comédien et auteur dramatique, toujours au service des jeunes.
Le théâtre est debout là mais personne ne vit là, la majorité des gens ne s’en approchent jamais. Il est donc une sorte de non- lieu pour moi. Mais quand j’ai commencé à jouer dans les écoles, c’était pour moi un monde vibrant : les gens ont vécu là, construisant leurs propres vies et réfléchissant à l’avenir de notre monde!
explique-t-il.
De nombreuses personnes m’ont demandé si la violence de la pièce la rend inadapté pour un jeune public. Je crois que l’éducation doit préparer des enfants pour une vie qui est réelle, et je crois qu’au cours des 50 dernières années, les enfants en Europe occidentale ont bien souvent été éduqués à une vie dans un “pays de jeunes” , dont les adultes pensent qu’il est réel. Et il ne l’est pas. Tout ce que je peux dire , c’est que les enfants qui ont vu Mirad viennent me dire qu’ils comprennent maintenant comment des gens en temps de guerre peuvent être si monstrueux les uns envers les autres. Mirad est à la fois du théâtre et de la réalité.
ajoute-t-il.
Pour les réfugiés du monde entier
Christophe Laluque a décidé de mettre en scène le drame d’ Ad de Bon il y a trois ans, horrifié par les événements en Syrie. En lisant l’auteur néerlandais il a décidé de montrer une autre guerre, géographiquement plus proche et évoquer des enjeux politiques et militaires, le problème des réfugiés devenus “migrants”, sans raison valable ni compréhensible!
Comment et pour quelle raison avez-vous décidé de montrer la guerre bosnienne, un quart siècle plus tard?
Pour donner ma propre vision de circonstances et situations imposés aux gens lambda, aux familles ordinaires qui racontèrent des événements exceptionnels et extraordinaires, sans avoir rien demandé. A l’époque j’étais parmi ceux qui n’ont rien compris : c’était plus facile de tourner la tête, suivre et accepter explications et points de vue de nos médias, souvent incomplètes et dirigés par les politiciens qui n’ont pas voulu s’engager pour la paix. Actuellement en Syrie, populations civiles sont soumises aux mêmes enjeux.
Vous présentez la pièce depuis deux ans et demi dans des environnements très divers. Avec quel but et quel écho?
Grâce à un texte bien élaboré, savamment fragmenté et universel, le drame s’adapte bien aux différents langues et manières de penser. Actuellement le troupe de L’Amin théâtre montre une version plus classique avec la scénographie, la musique et la vraie scène qui au même moment ressemble à un cimetière, une forêt où aux ruines d’une ville. Chaque spectateur s’en fait son idée mais nous espérons lui faire comprendre que cette situation là peut arriver partout et chez tous. Personne n’est à l’abri!
Nous l’avons longtemps joué dans des prisons, cafés, écoles, bibliothèques en “tout terrain”, pour faire approcher le sujet à toutes les couches de notre société occidentale, qui s’éloignent les unes des autres, ce qui les empêche de réfléchir et agir pour le bien de l’humanité entière. Nous avons laissé tomber la Bosnie-Herzégovine 25 ans plus tôt, comme nous n’aidons pas aujourd’hui de la bonne façon la Syrie ou la Somalie. Toutes ces raisons très valables m’ont poussé à envisager une mise en scène multiforme et adaptable aux différents horizons.
Le jeu des acteurs est inhabituel mais bien élaboré et sophistiqué. Vous donnez impression d’une troupe cohérente, harmonieuse, parfaite! Comment avez-vous réussi à arriver à ce haut niveau artistique bien que vos qu’interprètes viennent de divers milieux?
Nous avons un long parcours du travail commun, déjà accompli et bien cordonné. Nous gardons toujours la même passion et le besoin de remuer le public et l’inspirer à l’action. Nous sortons les spectateurs de leur petit train-train quotidien sans qu’ils’ aperçoivent et les mettons en face des questions fondamentales de la planète!
La participation au Festival d’Avignon sera un moyen d’internationalisation de la pièce ou de faire sa publicité?
L’un et l’autre… d’une certaine manière. Nous avons déjà prévu une tournée française mais elle pourra, après Avignon, qui reste le plus grand festival du théâtre en Europe, devenir largement francophone. Nous souhaitons depuis longtemps jouer Mirad en Belgique, au Luxembourg, en Suisse et en Afrique aussi. Ces rencontres pourront être enrichissantes et instructives également.
Aimeriez vous la présenter devant les Bosniens et Herzégoviens?
Je suis allé dans la région, qui à l’époque se nommait la Yougoslavie et était bien intégré au centre des événements politiques du Vieux continent. Je n’ai jamais imaginé qu’elle se destituerait si violemment et avec autant de graves conséquences. Bien sur que nous envisageons de jouer Mirad devant des habitants de Sarajevo, Prijedor, Foca ou Srebrenica. Les noms de ses villes ont fait tour du monde par les atrocités qui y ont été commises.Nous souhaitons leur porter message de la paix …
Mirad, un garçon de Bosnie sera présenté au théâtre Artéphile, situé au 7, rue du Bourg Neuf, du 6 au 29 juillet, tous les jours à 14h05, interprété par Serge Gaborieau (oncle Djuka), Chantal Lavalée (tante Fazila), Robin Francier (Mirad) et Céline Liger (sa mère Vérica).
Djenana Djana Mujadzic
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