Berlinale 2019 – Compétition jour #1: The Kindness of Strangers – Une romance entre invisibles de la société fait l’ouverture de la Berlinale
Au moins une chose de sûre : le film part d’une bonne intention ! Une chaîne de gentillesse peut sauver les gens ; pardonner et se pardonner à soi-même également.
Lone Scherfig, la réalisatrice danoise mainte fois primée (dont l’Ours d’argent – Grand prix du jury) pour son film Italian for Beginners (2000), reprend ici la structure des personnages qui se mettent doucement en place et finissent par se croiser. Cette approche tout à fait classique met un peu de temps à aboutir (et le film, à son bout fait partie de ceux qui n’en finissent pas d’en finir), mais surtout n’offre que très peu de latitude aux personnages pour se développer ; l’impression de rester à la surface des choses freine l’enthousiasme pour un film par ailleurs efficace dans son genre : un film romantique aux abords dramatiques.
Une jeune mère, Clara (Zoe Kazan) se rend à New York avec ses deux fils pour échapper à son mari violent. Très vite ils deviennent SDF, fréquentent les soupes populaires et essaient de trouver où dormir. Ailleurs dans la ville, Marc (Tahar Rahim) vient de sortir de prison et cherche à se réinsérer. Le propriétaire excentrique d’un restaurant russe, Timofey (Bill Nighy), l’engage pour diriger son établissement. Alice (Andrea Riseborough), extrêmement empathique, infirmière urgentiste et thérapeute dans un groupe de parole à vocation d’aider les gens à se pardonner eux-mêmes, et Jeff (Caleb Landry Jones), un jeune homme qui a de la difficulté à trouver sa place, tout ce qu’il touche semblant voué à l’échec, s’occupent à la soupe populaire de Clara et ses enfants, leur offrent un premier refuge à l’église, puis un second au restaurant de Timofey.
Jouant sur des coïncidences tout à fait improbables, le groupe et sa dynamique oscille entre drames, échecs, espoirs, libération – car chacun d’entre eux a besoin de se libérer de chaînes visibles ou invisibles de la vie – , libération qui intervient certes par ses propres décisions mais également par l’action et le regard de l’autre.
Raconté comme cela, tout semble un peu alambiqué. Et cela l’est aussi. Vu sous l’angle du genre romantique et, puisqu’il est question de gentillesse, soyons-le aussi un peu, le film fera couler quelques larmes dans les salles et fera également du bien – ce qui n’est pas négligeable par les temps qui courent – aux adeptes de happy end, et ceci dans un écrin cinématographique très beau. La structure narrative du film contrebalance également les phases extrêmement dramatiques par quelques pointes un peu convenues d’humour et de situations absurdes faisant néanmoins retomber la tension. L’habillage musical est, en revanche, question de goût : entre la musique symphonique qui nous garde de toute approche réaliste et les surlignements de propos – avec par exemple Les porte du pénitencier chanté en russe lorsque Clara décide d’intenter une action en justice, ou Má Vlast de Smetana lorsque que Clara dit adieu à Marc … c’est de la belle musique, certes…
A ce propos, la réalisatrice a fait ce commentaire lors de la conférence de presse :
J’adore les massives musiques classiques de films !
Un sujet grave est abordé cependant : le sort des plus faibles dans nos sociétés. Ce sont les invisibles : nous savons qu’ils sont là, mais nous ne les voyons pas ; et si nous les voyons, nous ne les regardons pas. Ce sont des fantômes qui se déplacent constamment dans la ville, de lieux chauffés en lieux chauffés. Une scène poignante, et certainement celle qui sonne le plus juste, nous montre un SDF qui crie le déni de son existence par le fait que Clara ne le regarde pas dans les yeux lorsqu’il lui parle. Cette incursion dans les interstices invisibles de notre quotidien laisse tout de même à réfléchir sur notre propre regard une fois sortis de la salle de cinéma.
Je me suis sentie obligée de faire un film sur un sujet qui me semble très urgent dans la société. Mais le film, dans son message cinématographique montre des gens qui n’ont pas une force de caractère particulière, ni un but extraordinaire à atteindre. Ici Clara semble forte simplement parce qu’elle doit survivre. Mais je ne créé jamais de personnages qui auraient des supers pouvoirs dans la vie
explique Lone Scherfig. Dans ce sens, et même si un doute subsiste sur le choix de ce film pour faire l’ouverture de la Berlinale, The Kindness of Strangers entre parfaitement dans le cadre de la devise arrêtée par Dieter Kosslick pour cette 69e édition : « Ce qui est privé est politique. »
La cinéaste ajoute :
Je veux créer des moments intimes qui ont un impact politique mais je ne fais pas expressément des films politiques.
Concernant le happy end, elle souligne :
avec le film je peux me permettre une certaine licence par rapport à la réalité afin d’amener le public vers le côté de l’espoir mais aussi vers celui de l’esprit de communauté.
De Lone Scherfig ; avec Zoe Kazan, Andrea Riseborough,Tahar Rahim , Jack Fulton, Caleb Landry Jones, Jay Baruchel , Bill Nighy; Danemark, Canada, Suède, Allemagne, France; 2019; 112 minutes.
Malik Berkati, Berlin
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